Depuis le départ de Bolloré Africa Logistics, racheté par Mediterranean Shipping Company en 2022, la stratégie portuaire du Togo se redessine à marche forcée. Extension du terminal Lomé Containers (LCT), renforcement des capacités et augmentation de la participation de l’État dans Togo Terminal,… Quelles perspectives pour le 1er port à conteneurs d’Afrique de l’Ouest ?
Depuis l’arrivée du ministre de l’Économie maritime, de la Pêche et de la Protection côtière, Kokou Edem Tengue, le port autonome de Lomé (PAL) enregistre des résultats spectaculaires. En 2021, il intégrait le « One Hundred Containers Ports ». De 2017 à 2021, le chiffre d’affaires du port de Lomé est passé de 26 milliards FCFA à 35 milliards de Fcfa, selon un bilan de performance présenté le 13 avril 2022 par la direction générale. Le chiffre d’affaires a atteint 39 milliards de francs CFA l’année dernière, d’après un rapport du conseil des ministres.
Le 20 mars, c’est en présence du président du Togo, Faure Gnassingbé, que se déroulait la cérémonie d’inauguration de l’extension du terminal LCT (Lome Containers Terminal) du Port autonome de Lomé. Sous un grand chapiteau blanc, les invités triés sur le volet, étaient particulièrement attentifs aux déclarations des représentants de MSC et de la China Merchants Ports qui avaient respectivement fait le déplacement depuis la Suisse et la Chine. « Nous n’étions pas venus depuis plus de deux ans. Il était donc important d’être à Lomé aujourd’hui », explique Vincent Lu, directeur exécutif et vice-président de la puissante compagnie chinoise.
Avec l’extension de LCT, le port s’est doté d’une capacité statique supplémentaire de 1.500 containers. La surface totale du terminal s’étend désormais à 59 hectares. « Nous allons accroître la capacité annuelle du terminal de 2, 2 millions EVP à 2,4 millions EVP, car il est nécessaire d’anticiper dès à présent la croissance future des volumes qui transiteront par Lomé », explique le ministre de l’Économie maritime.
PAL dispose également de nouveaux équipements de manutention : 2 portiques de quai STS, 5 RTG hybrides, 2 chariots élévateurs RST, 10 tracteurs TT et châssis remorques. Avec un linéaire de quai de 1050 mètres et sa profondeur de 16,6 mètres, le terminal est en capacité d’accueillir les géants des mers (les navires post Panamax).
Le 1er port à conteneurs d’Afrique de l’Ouest
Inscrit au cœur de la stratégie de développement national, PAL est désormais la 2e plateforme de transbordement de marchandises conteneurisées d’Afrique subsaharienne, après Durban (Afrique du Sud). En 2022, 629 navires ont transbordé 1,6 million d’EVP sur LCT. « LCT répond aux exigences internationales et ses performances à la grue sont supérieures à celles du port d’Anvers », a souligné David Elbez, le directeur du Terminal Investment Limited (TIL) – MSC Group (pour des volumes nettement inférieurs). Avec 1.952.879 conteneurs traités en 2022, Lomé Container Terminal (LCT) est aujourd’hui l’opérateur de terminal à conteneurs leader en Afrique de l’Ouest.
« La zone maritime contribue à hauteur de 50% au PIB du Togo. Elle représente 75% des recettes fiscales et 80% du commerce extérieur », souligne Kokou Edem Tengue. Le ministre a de quoi se réjouir, car depuis quelques années, le port autonome de Lomé (PAL) enregistre des résultats exponentiels.
Depuis la création du ministère de l’Économie maritime, de la pêche et de la protection côtière en 2020, le trafic global du port de Lomé est passé de 22 millions de tonnes à près de 30 millions de tonnes. Pour gérer l’épineux dossier du rachat de BAL par MSC, et renforcer les capacités du port, le Togo a pu s’appuyer sur l’expertise de son jeune ministre, qui n’est autre que l’ancien directeur de Maersk au Togo.
PAL, le 2e port de passage de marchandises vers le Niger
Profitant d’un déplacement officiel au Togo, le président du Niger Mohamed Bazoum (accompagné notamment de Hassoumi Massaoudou, son ministre des Affaires étrangères) a participé à la cérémonie d’extension du terminal LCT, aux côtés de son homologue togolais, le président Faure Gnassingbé.
« Le volume annuel de marchandises transitant par Lomé à destination du Niger avoisine 300 000 tonnes. Il s’agit du second port de passage de marchandises à destination du Niger, après celui de Cotonou », souligne Edem Tengue, non sans rappeler les avantages proposés par le port aux opérateurs économiques nigériens. D’après les Nations unies, le Togo exportait pour plus de 80 millions de dollars de marchandises vers le Niger en 2019.
Le port autonome de Lomé est à ce jour, le seul port en eau profonde de la côte ouest-africaine, capable d’accueillir des navires à fort tirant d’eau. L’attractivité de PAL repose également sur la proximité du Port sec de la Plateforme industrielle d’Adétikopé (PIA) inaugurée en juin 2021 et situé à 45 minutes de la capitale. PIA qui représente une extension terrestre du port de Lomé, s’est dotée d’un guichet unique et concentre tous les services douaniers et fiscaux. « Les marchandises en transit dans le port sec de PIA sont exemptées de droit de douane », rappelle le ministre de l’Économie maritime.
Par ailleurs, le port de Lomé affiche une sécurité à toute épreuve. Il fut singulièrement épargné par l’insécurité régnante au large de ses côtes qui a mis à mal les approvisionnements d’hydrocarbures dans le golfe de Guinée. « Si le Togo a été épargné, la situation sécuritaire dans le golfe de Guinée dans son ensemble, s’est nettement améliorée. Cela tient notamment à l’initiative de Yaoundé, avec la création de centres régionaux d’alerte et de lutte contre la piraterie. La plupart des pays du golfe de Guinée ont pris des mesures sécuritaires en créant des préfectures maritimes », explique le ministre qui ajoute qu’ « il n’y a pas eu de pression sur l’approvisionnement des hydrocarbures au Togo – et que le phénomène – a surtout touché le Nigéria qui, tout comme le Togo, a voté une loi lui donnant une compétence universelle en matière de lutte contre la piraterie ».
Vers une concurrence des ports ouest-africains ?
Face à la multiplication des ports à l’ouest du continent (le port de Tema au Ghana, le port d’Abidjan en Côte d’Ivoire, le port de Cotonou au Bénin, le port de Pointe Noire au Congo et le port de Kribi au Cameroun), le Togo renforce ses investissements pour maintenir sa place de leader portuaire régional. Au total, le port de Lomé a nécessité quelque 400 millions d’euros, dont 352 millions d’euros d’investissement initial, assortis d’un apport additionnel de 50 millions d’euros par la société de projet LCT (joint-venture entre la MSC et la China Merchant Holding).
Parallèlement, le groupe italo-suisse MSC multiplie les investissements dans le terminal à conteneurs ivoirien qui pourrait bien à terme, rivaliser avec le port de Lomé. « Cela ne doit pas être un sujet d’inquiétude, car la croissance africaine reste forte et lorsque vous considérez le ratio de containers par habitant, l’Afrique reste largement sous containerisée par rapport au reste du monde », estime Kokou Edem Tengue.
Depuis quelques années, le Togo s’est imposé comme porte d’entrée de l’Afrique de l’Ouest et entend bien le rester. C’est aujourd’hui le 1er port de passage de marchandises vers le Nigeria, qui compte plus de 200 millions d’habitants. « La croissance africaine devrait rapidement dépasser les capacités de ces nouvelles infrastructures », évalue le ministre.
Alors que la Côte d’Ivoire reste leader en matière de trafic global de marchandises dans la sous-région, elle est toujours largement distancée par le Togo sur le segment du trafic des conteneurs. Les investissements du groupe MSC à Abidjan remettront-ils en question le leadership du port togolais ? « Le Togo s’adaptera à la concurrence quoi qu’il en soit », affirme le ministre de l’Économie maritime, de la Pêche et de la Protection côtière du Togo.
Reconfiguration portuaire après le départ de BAL
Longtemps considéré comme un outsider face au français CMA-CGM et au danois Maersk, l’opérateur italo-suisse MSC a massivement investi pour camper aujourd’hui, la 1re place du podium des transporteurs de conteneurs à l’échelle mondiale, selon les statistiques sur la flotte maritime mondiale. MSC est en mesure de transporter l’équivalent de 4 284 millions de conteneurs de vingt pieds contre 4 282 millions pour Maersk. Après le rachat retentissant de BAL pour 5,7 milliards en 2022, PAL renforce encore ses positions en Afrique de l’Ouest.
La page de l’opérateur historique Bolloré Africa Logistics (BAL) est désormais tournée. Dans cette opération, MSC a récupéré 16 terminaux à conteneurs, 7 terminaux pour trafic roulier et 5 000km de voies ferrées, mais aussi les 21 000 salariés de BAL.
Le groupe italo-suisse pourra en sus profiter des bénéfices records enregistrés pendant la pandémie de Covid-19, pour renforcer sa stratégie d’intégration verticale (terrestre et aérien) afin d’améliorer les connexions entre le continent et le reste du monde.
Avec l’obtention des terminaux togolais, le groupe MSC se retrouve dans une situation de quasi-monopole sur le trafic de conteneurs à Lomé. Est-ce la raison qui a poussé le gouvernement à augmenter sa participation dans Togo Terminal ? En effet, le 2 mars dernier, le gouvernement annonçait avoir renforcé ses positions dans l’actionnariat de Togo Terminal, la filiale de l’opérateur français cédée à MSC, en passant de 5% à 30% des parts, de quoi garder un œil sur le déroulement des opérations portuaires…
Afrique Tribune