Près de quatre années après avoir pris les rênes de Kifema Capital, Dr Arthur Lilas Trimua part avec un sentiment de mission accomplie. À la tête de ce fonds d’investissement à capitaux publics et institutionnels, il a impulsé une vision novatrice, centrée sur l’investissement d’impact, le soutien à l’économie réelle et la transformation structurelle de secteurs comme l’énergie, l’agro-industrie, le sport ou encore la culture. À travers une approche rigoureuse, le directeur général sortant revient dans cette interview exclusive sur les grandes orientations qu’il a portées, les défis rencontrés, les réalisations phares, ainsi que sa lecture des priorités pour l’avenir.
L’économiste du Togo : Dr Arthur Lilas Trimua, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?
Dr Arthur Lilas Trimua : Avant d’occuper le poste de Directeur Général de Kifema Capital, j’ai été Directeur Juridique puis Secrétaire Général de Togo Invest Corporation SA. Mais ma carrière a surtout été marquée par l’exercice du métier d’avocat, notamment en financement de projets. J’ai conseillé plusieurs États africains, dont la Côte d’Ivoire sur le projet du métro d’Abidjan et le Burkina Faso sur la conception, le financement, la construction et l’exploitation de l’aéroport Ouagadougou Donsin. Je suis un spécialiste du financement d’infrastructures publiques.
Qu’est-ce que Kifema Capital et quelle est sa spécificité ?
Kifema Capital est un fonds d’investissement créé à l’initiative de l’État togolais, mais l’État en tant que tel n’est pas actionnaire. Ce sont plutôt des investisseurs institutionnels tels que la CNSS, Togo Invest, la CCI Togo ou encore l’INAM qui en sont les principaux actionnaires. L’objectif est de lever des ressources financières nationales pour investir dans des infrastructures stratégiques comme l’énergie, l’eau, les autoroutes ou encore le secteur bancaire. C’est un outil complémentaire à l’action de l’État, qui permet aussi de déconsolider la dette publique. Kifema Capital a progressivement trouvé sa place dans l’écosystème institutionnel togolais comme un véhicule d’investissement stratégique. Malgré des défis budgétaires et structurels inhérents à toute phase de démarrage, l’entreprise a su maintenir le cap, ancrer sa légitimité et mobiliser des ressources pour des projets à fort impact.
Pourquoi avoir détaché Kifema Capital de Togo Invest ?
Togo Invest est historiquement orienté vers de grands projets structurants liés au corridor économique du pays. Toutefois, il a été constaté que certains projets plus modestes — de 1 à 3 milliards FCFA — ont un fort impact local, surtout dans les collectivités. Modifier l’ADN de Togo Invest aurait été inadapté. Nous avons donc créé Kifema Capital comme un véhicule de taille moyenne, capable d’intervenir sur des projets de proximité, avec un plafond d’intervention fixé à 10 millions d’Euros par projet.
Quelles ont été les principales réalisations de KIFEMA CAPITAL depuis ses débuts ?
Parmi les réalisations majeures, on peut citer : la structuration et le co-financement de projets énergétiques d’envergure (Kékéli Efficient Power, centrale solaire de Sokodé en cours) ; une montée en puissance dans le secteur bancaire avec la prise de participation dans IB Bank-Togo afin de soutenir l’actionnariat national. La conception d’un modèle innovant d’investissement public au service du développement territorial, notamment à travers le projet Alea Park et la réhabilitation de certaines infrastructures du Lycée moderne d’Adidogomé 2. Le soutien à l’entrepreneuriat local reste le prochain défi.
Kifema Capital lève-t-il des fonds sur le marché financier régional ?
Pas encore. Nous en avons la capacité, mais nous sommes encore jeunes. Pour l’instant, notre modèle repose sur des levées de fonds ciblées auprès de nos actionnaires institutionnels, projet par projet. Ce système nous permet de bâtir progressivement un portefeuille cohérent, et de gagner en crédibilité.
Quel est le rôle de structures comme la CNSS ou l’INAM dans Kifema ?
Elles sont actionnaires, oui, mais cela ne signifie pas qu’elles doivent systématiquement faire passer tous leurs investissements par Kifema. Ce sont des entités autonomes, soumises à des obligations réglementaires précises. La CNSS, par exemple, a pour mission de sécuriser les ressources des cotisants. Elle ne peut s’engager que dans des projets bien encadrés et rentables à long terme. Cela dit, nous discutons avec elle d’un partenariat plus stratégique, notamment dans le secteur du logement, où son expérience est précieuse.
Justement, comment se répartissent les projets entre les différents secteurs ?
Chaque projet est analysé en fonction de sa pertinence, de son impact économique et de la qualité des partenaires. Par exemple, pour les projets énergétiques, Kifema a souvent joué un rôle direct notamment sur le projet de la centrale électrique Kékéli. Pour le logement, il est parfois plus pertinent que la CNSS prenne le relais. L’idée est de bâtir une complémentarité d’action avec les autres véhicules d’investissement du pays, et non de se substituer à eux.
Quelle est votre vision de l’avenir pour Kifema Capital ?
Je crois que Kifema Capital a trouvé son positionnement. Celui d’être un catalyseur d’investissements à taille humaine mais à fort impact. À moyen terme, il faudra renforcer sa visibilité, diversifier son portefeuille et explorer le marché régional pour mobiliser de nouvelles ressources. Ce que nous avons bâti en quelques années est solide, Kifema peut devenir un modèle d’investissement responsable au service du développement local.
« L’énergie n’est pas un secteur, c’est un facteur transversal de souveraineté »
Vous évoquez souvent l’importance de la structuration des fonds. Concrètement, comment cela se traduit-il ?
Nous avons conçu Kifema comme un outil d’investissement à impact, avec des fonds sectoriels pour cloisonner les risques. Nous intervenons dans l’énergie, l’eau, les infrastructures sociales, mais chaque secteur a ses spécificités, ses cycles de rentabilité, ses exigences réglementaires. Cela suppose une gestion différenciée mais coordonnée. Par ailleurs, les ressources que nous collectons servent aussi à créer des garanties et mobiliser davantage d’investissements.
L’énergie semble occuper une place centrale dans votre stratégie. Pourquoi un tel accent ?
L’énergie n’est pas un simple secteur économique, c’est un filigrane de toute activité productive. Sans énergie, vous ne pouvez ni industrialiser, ni digitaliser, ni créer de valeur. C’est pourquoi nous avons investi dans Kekeli Efficient Power, où nous détenons 25 % du capital. Cette centrale fonctionne aujourd’hui parmi les plus efficace du pays, avec une capacité à alimenter jusqu’à 800 000 foyers. Malgré les défis, ce projet est une réussite – construit en pleine crise, il illustre la capacité du Togo à initier des projets souverains.
Justement, que vous apporte un tel investissement ?
Deux choses essentielles. Premièrement, de la souveraineté car, pendant des années, nous n’avions pas la main sur notre propre énergie. Aujourd’hui, une entité togolaise est actionnaire d’un acteur de production. Deuxièmement, cela donne à l’État un droit de regard sur la gouvernance et la tarification. Quand on connaît les réalités du secteur, c’est fondamental. Et au final, cela permet aussi – quand les seuils de rentabilité sont dépassés – d’envisager des ajustements de prix pour le consommateur final.
Mais les tarifs de l’électricité au Togo restent élevés. Que répondez-vous à cela ?
Il faut distinguer trois maillons à savoir la production, le transport (via la CEB), et la distribution. Même si des centrales sont construites, si les autres segments sont fragiles ou mal optimisés, le coût reste élevé. Par ailleurs, les acteurs privés doivent rentabiliser leurs investissements. Mais justement, si des entités publiques comme Kifema ou la CDC sont présentes dans la chaîne, elles peuvent équilibrer cette logique, en veillant à ce que la rentabilité ne se fasse pas au détriment des citoyens. Cela demande du temps, de la transparence et des outils de régulation forts.
Vous semblez insister sur une meilleure communication autour des efforts fournis. Pourquoi ce besoin ?
Parce que trop souvent, les actions positives sont invisibles, tandis que les critiques prospèrent. En février 2023, par exemple, nous avons eu une alerte sérieuse dans le secteur. Grâce à l’engagement des équipes et des partenaires, nous avons évité une crise énergétique. Mais peu en parlent. Il est essentiel de publier les données, de documenter les efforts, pour ne pas laisser s’installer des contre-vérités. Le silence institutionnel est un terreau fertile pour la défiance.
« L’énergie est un levier de souveraineté économique »
Kifema Capital est le bras financier de l’État dans certains projets énergétiques. Comment expliquez-vous la persistance de la crise énergétique au Togo ?
Il faut d’abord préciser qu’il serait illusoire de croire qu’un ou deux projets suffisent à résorber des décennies de sous-investissement et de reformes non accomplies. La crise énergétique est systémique, aggravée par la croissance démographique, l’insuffisance de la production sous régionale dans le domaine de l’énergie, et la volatilité des marchés en ce qui concerne les combustibles. Kifema Capital a agi à sa mesure, mais la solution passe par des reformes fortes de tout l’écosystème et une coordination renforcée et proactive du secteur de l’Energie avec l’ensemble des secteurs interdépendants. L’Energie est un facteur de production transversal aussi important que le capital humain.
Quelle est l’origine de cette crise énergétique au Togo?
L’origine est triple : un déficit
d’investissements en capacité de production et une dépendance excessive à des sources thermiques importées. L’architecture du marché régional reste fragile, et le financement du secteur de l’énergie ainsi que de la transition énergétique nécessite des instruments financiers plus innovants. Le financement budgétaire de ce secteur tend à devenir l’exception et nos dirigeants doivent comprendre cela et promouvoir les mécanismes alternatifs et déconsolidant de financement de ce secteur.
Quelles solutions kifema Capital envisage-t-elle pour contribuer à la résolution durable de cette crise ?
Kifema Capital propose d’intensifier les investissements dans les infrastructures de production et de distribution de l’électricité, tout en appuyant les initiatives d’autoproduction. Nous militons également pour la création d’un Fonds souverain vert national, adossé à des revenus non budgétaires, pour financer la transition énergétique.
Vous avez affirmé que la gestion de l’énergie est avant tout une question de souveraineté. Pouvez-vous expliquer ?
L’énergie ne doit pas être considérée comme un simple service public qu’on subventionne indéfiniment. C’est un facteur de production essentiel, transversal à tous les secteurs. Si vous maîtrisez l’énergie et le capital humain, vous maîtrisez la base de votre industrialisation, de votre croissance. C’est pourquoi la planification énergétique est fondamentale. Ce n’est pas juste produire aujourd’hui, c’est anticiper les besoins de demain. Quand vous construisez une centrale, ce n’est pas un véhicule qu’on démarre en 5 minutes. Il faut dimensionner, investir en combustible, et structurer la filière autour. Sans cette logique, on expose le pays à des tensions, voire des pénuries.
Vous évoquez une politique de limitation de la production locale. Est-ce que cela met le pays en risque ?
Disons que c’est une décision à double tranchant. L’idée de privilégier l’importation d’énergie, moins chère à long terme, peut se comprendre. Mais elle nous rend dépendants. Si demain un pays voisin entre en année électorale ou fait face à une crise, il peut réduire ses exportations. Et nous, on se retrouve à sec. Il faut équilibrer importations et souveraineté. On ne peut pas réduire nos capacités de production nationale sans plan B solide. Une centrale thermique ne fonctionne pas à moitié : elle a besoin de tourner à pleine charge, avec du combustible disponible. Si ce combustible n’arrive pas ou est fourni à un cout élevé, vous alourdissez les coûts de production de la centrale. À un moment, nous sommes restés quatre mois sans pouvoir faire tourner une centrale par manque de combustible. Ce sont des crises silencieuses mais graves. Il faut des politiques cohérentes et des décisions d’investissement alignées avec les objectifs de souveraineté énergétique.
Le Togo n’a pas augmenté ses tarifs d’électricité depuis longtemps. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?
C’est plus complexe qu’un simple oui ou non. Si vous ne répercutez pas l’augmentation du coût des matières premières (cuivre, câbles, combustibles etc.) sur le tarif de revente à l’usager, vous créez des déficits dans les entreprises de distribution (CEET). Et quand en plus il y a des pertes de distribution, des impayés, un mauvais recouvrement, vous alourdissez l’écart entre ce que vous payez pour produire et ce que vous encaissez. Résultat : vous créez une dette systémique. La subvention d’équilibre devient une drogue. Or, ce n’est pas soutenable pour l’État à long terme.
Donc, vous êtes favorable à une augmentation des prix ?
Ce n’est pas au citoyen seul de porter le poids. Mais il faut une tarification plus rationnelle. Si vous payez l’électricité 125 F et que la production vous en coûte 150 F, ce n’est pas viable. L’idée est d’arriver à un coût réaliste, partagé entre les usagers, les producteurs et l’État, avec des mécanismes de péréquation pour protéger les plus vulnérables. Le tout, c’est de sortir de la logique où l’électricité est perçue comme un dû gratuit, alors qu’elle coûte de l’argent à produire.
Pourquoi d’autres pays comme la Côte d’Ivoire réussissent mieux ?
La Côte d’Ivoire a augmenté ses tarifs deux fois en six mois, mais dans une logique d’investissement. Elle a créé de grosses centrales, surdimensionnées au départ, et peut maintenant vendre l’excédent à ses voisins. Elle a maîtrisé la chaîne de valeur et renforcé sa capacité de production. Nous, nous devons suivre cet exemple : investir lourdement aujourd’hui pour mutualiser les coûts demain. Et cela nécessite de la volonté politique, de la cohérence stratégique et du courage économique.
Le modèle togolais peut-il intégrer cette approche régionale ?
Avec le Ghana, le Nigéria ou même le Burkina, nous devons créer des interconnexions solides. L’idée est simple : si chacun produit, on peut mutualiser. Mais encore faut-il avoir des réseaux robustes pour transporter l’énergie, des accords durables, et des centrales capables de produire de l’excédent. Cela suppose que le Togo ait lui-même ses propres infrastructures puissantes. L’interconnexion ne doit pas être une dépendance mais un levier d’export et de stabilité.
« Le sport doit devenir un véritable levier de transformation sociale et économique »
On parle de plus en plus des projets sportifs portés par Kifema Capital. Pourquoi ce secteur ?
Parce que le sport, aujourd’hui, n’est plus simplement un loisir. C’est un levier structurant, un outil d’inclusion sociale, de santé publique et même d’économie. Au Togo, pendant longtemps, on a négligé l’importance des infrastructures sportives de proximité. Avec Kifema Capital, on veut aller au-delà des discours. On veut structurer une offre durable, rentable et accessible à tous.
Certains s’interrogent sur le rôle d’un fonds d’investissement dans ce type de projet. Ce n’est pas du ressort du ministère des Sports ?
Justement, notre intervention ne remplace pas celle de l’État. Elle la complète. Le ministère des Sports définit la politique publique, mais il ne dispose pas toujours des ressources suffisantes pour la mettre en œuvre. Kifema Capital agit comme un véhicule de financement alternatif, structuré pour mobiliser des capitaux institutionnels et privés. Ce que nous faisons, c’est déconsolider la dette publique tout en offrant un service d’intérêt général.
Comment les projets sont-ils structurés financièrement ?
Nous avons créé une société d’exploitation dédiée aux équipements sportifs. Plutôt que de gérer chaque site individuellement, nous centralisons les services – coachs, entretien, sécurité, billetterie – ce qui permet de mutualiser les charges et d’assurer un fonctionnement professionnel. L’objectif est clair : maintenir un coût social d’accès très bas (1 500 FCFA par utilisateur, par exemple), tout en générant des revenus grâce à des services complémentaires (événements, régie pub, restauration, etc.). Nous avons pensé un modèle hybride. La journée, les terrains sont réservés aux écoles et jeunes des quartiers. Le soir, ils sont ouverts à tous. Le week-end, on peut y organiser des événements, oui, même des anniversaires – mais toujours dans le respect des créneaux dédiés aux activités sportives. L’idée, c’est de créer des lieux de vie, pas des ghettos sportifs.
Ce modèle peut-il être rentable ?
Pas au sens classique du retour sur investissement à deux chiffres, mais rentable socialement et économiquement. Nous travaillons avec des actionnaires à impact, qui ne cherchent pas du 18 %, mais un changement tangible : réduction des maladies liées à la sédentarité, création d’emplois, émergence de talents sportifs, etc. La rentabilité vient aussi des externalités positives qu’on génère pour la société. Je comprends les critiques. Mais je suis un professionnel de l’investissement, pas un ministre. Mon rôle, c’est d’initier, de structurer, de prouver que c’est possible. Ensuite, d’autres peuvent reprendre. Je ne cherche pas la visibilité. Je cherche l’impact. Que ce soit dans le sport, l’énergie ou le logement, notre mission est de faire émerger des solutions nouvelles pour transformer durablement ce pays.
Peut-on dire que vous construisez un écosystème autour du sport ?
Nous avons prévu toute une chaîne de valeur autour du sport : infrastructures, formation de coachs hommes et femmes, accueil des personnes âgées pour des étirements encadrés par des kinés, régies commerciales, etc. Le but, c’est de professionnaliser l’écosystème sportif togolais et d’en faire un vivier d’emplois, de santé, de cohésion et de fierté nationale. J’ai structuré des financements de parcs en Côte d’Ivoire, j’ai vu ce que ça change dans les quartiers. Je sais que si on donne à nos jeunes des lieux dignes, encadrés, accessibles, on peut prévenir bien des maux sociaux. Ce n’est pas du luxe, c’est une priorité. Et si je peux le faire, ici, chez moi au Togo, alors je le ferai les yeux fermés.
« Le Togo a besoin d’acteurs capables d’accompagner la transformation à tous les niveaux »
Quel est selon vous le rôle fondamental d’un acteur comme Kifema Capital dans l’économie togolaise ?
Kifema Capital a pour vocation d’être un levier stratégique dans l’économie réelle. Ce n’est pas juste un investisseur, c’est un outil structurant. Nous intervenons dans des secteurs essentiels comme l’énergie, les infrastructures sportives, la culture, l’agro-industrie ou encore la banque. Ce qui nous motive, c’est la capacité à accompagner des transformations concrètes. Par exemple, dans le secteur bancaire, nous envisageons d’introduire des outils spécifiques pour le retournement des entreprises en difficulté. Il faut des acteurs qui maîtrisent cela localement.
Quels sont les secteurs prioritaires aujourd’hui pour Kifema Capital ?
D’abord l’énergie, où nous sommes déjà producteurs. Ensuite, le sport, avec un projet pilote dans la commune de Golfe 7 à Lomé. Puis vient le capital-investissement : on travaille sur des prises de participation dans des entreprises de transformation agricole et alimentaire. Notre objectif, c’est l’industrialisation de la valeur locale. Enfin, il y a le secteur bancaire, mature mais encore trop peu outillé pour certaines opérations capitalistiques complexes. Là aussi, nous voulons apporter des solutions.
Vous évoquez aussi l’importance du secteur culturel. Pourquoi ?
Parce que la culture, comme le sport, ce n’est pas juste du divertissement. Ce sont des moteurs économiques, des générateurs d’emploi et d’identité. Nous voulons accompagner l’émergence d’une industrie culturelle togolaise, avec des standards internationaux. Cela passe par des équipements, des structures de formation, et une vision commerciale durable.
Vous quittez vos fonctions de directeur général. Pourquoi ce départ maintenant ?
J’ai accompli ce que je devais faire à ce poste. Je suis légaliste, et je crois aux règles. Je pars avec sérénité, avec le sentiment d’avoir structuré quelque chose de solide. Mais je reste disponible si besoin. Mon avenir ? Un peu de repos avec ma famille, puis peut-être d’autres engagements, toujours au service du Togo et de la sous-région.
Vous avez souvent défendu une approche rigoureuse et pragmatique du développement. Qu’entendez-vous par là ?
Il ne faut pas fantasmer sur la souveraineté économique ou énergétique totale. Cela n’existe pas. Même les pays riches font des arbitrages. Ce qui compte, c’est de construire des outils de résilience, comme des partenariats publics-privés solides, des fonds souverains performants, et surtout une planification intelligente.
En partant, quel message souhaitez-vous laisser ?
Je ne suis pas dans la course à la visibilité, mais dans la construction. Le pays a besoin de praticiens sérieux, pas de vedettes médiatiques. Je crois au travail bien fait, discret mais efficace. Je crois aussi qu’il faut oser : oser investir, oser créer, oser faire confiance à des talents locaux. Si chacun joue son rôle avec rigueur et honnêteté, nous pouvons transformer ce pays. Et je continuerai, sous une forme ou une autre, à y contribuer.
En tant qu’expert du PPP, quelle est votre analyse des perspectives de ce modèle en Afrique ?
Le PPP n’est pas une panacée, mais un outil puissant lorsqu’il est bien structuré. L’Afrique doit passer d’une logique opportuniste à une approche stratégique du PPP, avec une préparation rigoureuse des projets, une allocation équilibrée des risques, et une sécurisation des flux de revenus. C’est aussi une opportunité de renforcer la transparence et la gouvernance des projets publics.
Le modèle Kifema Capital est-il aujourd’hui financièrement autonome
?
Kifema Capital a été pensée pour atteindre une autonomie progressive. Aujourd’hui, elle reste partiellement adossée à des ressources budgétaires mais tend vers une hybridation de ses sources de financement : retours sur investissements, levée de fonds auprès d’investisseurs institutionnels, et portage temporaire par des partenaires. Le défi de l’autonomie est en cours de résolution.
Comment évaluez-vous l’impact des projets Kifema Capital?
Trois indicateurs guident notre évaluation : l’effet de levier financier mobilisé, l’emploi créé (direct et indirect), et la transformation structurelle induite (renforcement du tissu économique local, accès aux services, souveraineté sectorielle). Nous avons mis en place un tableau de bord d’impact socio-économique pour chaque projet.
Quelles leçons tirez-vous de la collaboration avec des partenaires comme STOA ?
L’accord avec STOA a été un tournant : il a démontré que des investisseurs de renom croient en notre vision. Toutefois, les barrières à lever sont réelles. Il faut encore travailler à rassurer les partenaires privés sur la stabilité des projets étatiques.
Quels sont les grands défis non résolus que vous laissez à votre successeur ?
Je lègue à mon successeur quatre ambitions : le maintien de la confiance de nos actionnaires et surtout de l’Etat, la consolidation de l’autonomie financière de Kifema, le renforcement et la formation continue du capital humain de KIFEMA ; le maintien de Kifema comme la première société privée togolaise ayant investi dans la production de l’énergie. Nous sommes un acteur qui accompagne le processus de souveraineté énergétique.
Un mot sur le modèle Kifema à long terme ?
Kifema est un outil agile. Il peut évoluer, changer de cap en fonction des priorités nationales. C’est cela qui fait sa force. Il faut désormais consolider ses acquis, professionnaliser davantage son fonctionnement, et surtout garder sa boussole : l’impact. C’est ce qui me guide et ce qui doit continuer à guider cette structure.
Réalisation : Joël Yanclo