L'économiste du Togo

Opinion : le continent a besoin de ses marchés

Dans beaucoup de grandes villes d’Afrique, les autorités ont entrepris de se débarrasser de certains petits revendeurs ou artisans et procèdent à des déguerpissements parfois brutaux. Une politique inspirée de celle des Occidentaux, qui risque d’être contre-productive.

Le taux de chômage est abyssal en Afrique. Selon la Banque mondiale, les jeunes représentent 60 % de l’ensemble des chômeurs du continent. Rien que pour le Sénégal, plus de 200 000 d’entre eux arrivent chaque année sur le marché de l’emploi. La situation est tellement préoccupante que des milliers de candidats à l’émigration tentent, en prenant énormément de risques, de rejoindre une Europe barricadée.

Pourtant, ces derniers ont tout fait pour braver les incertitudes liées à l’avenir. Nombre d’entre eux, par dignité, ont investi les marchés pour survivre, certains comme vendeurs ambulants, d’autres comme cordonniers, tailleurs mobiles, portefaix, etc.

Des lieux de rencontre et de réflexion

Un beau jour, les autorités étatiques et municipales, sous prétexte de mieux organiser et moderniser les marchés, les ont déguerpis ostensiblement, ravivant ainsi la question du chômage des jeunes. L’État les expulse, ils reviennent à la case départ. Il déploie les forces de l’ordre pour les dissuader, ils récidivent.

Le marché n’a pas la même vocation selon que l’on se trouve en Afrique ou ailleurs

L’une d’entre eux, d’un âge assez avancé, me disait : « J’ai quatre jeunes enfants à nourrir et je n’ai pas les moyens, je compte sur cette activité au marché et on veut m’en priver, que vais-je devenir ? »

Les autorités africaines appliquent ces mesures de déguerpissement par mimétisme du monde occidental. En agissant ainsi, elles contribuent à affaiblir un secteur informel qui représente, dans certains pays, plus de la moitié du PIB et contribue  activement à l’emploi.

Une vendeuse du marché Kaporo-Rails, dans la banlieue de Conakry, emporte ses affaires avant l’intervention des buldozzer, le 20 février 2019. © Abou Bakr

Bien entendu, les réalités sont différentes comparées a celles du monde occidental. En effet, le marché n’a pas la même vocation selon que l’on se trouve en Afrique ou ailleurs, dans les pays développés. Sur le continent, ce sont des lieux de rencontre entre villageois et citadins, des espaces de dialogue culturel et religieux. Des occasions de partage d’expérience mais aussi de réflexion sur l’avenir. Oui, les marchés permettent aussi d’acheter moins cher, lorsque les marchands ambulants sont autorisés à vendre.

Socles de prospérité partagée

Dommage, pour cause de mimétisme, les gouvernants appliquent sans réfléchir les pratiques commerciales occidentales, lesquelles ne s’appuient évidemment pas sur les mêmes réalités socio-économique.

Des millions d’emplois précaires qui contribuent à la lutte contre la pauvreté

Ils préfèrent accorder la priorité aux automobilistes en leur réservant plus de places pour le stationnement de leurs véhicules ; le privilège est aussi réservé aux quelques commerçants opulents qui n’ont pas de difficultés à se procurer des étals. Tout ceci au détriment de la conservation de millions d’emplois précaires qui contribuent à la lutte contre la pauvreté.

Ces déguerpissements intempestifs notés dans les marchés africains sont incohérents, contre-productifs et lourds de danger. Voilà pourquoi les lieux publics de commerce en Afrique deviennent de plus plus des espaces fantômes, au lieu de conserver leur charme exotique, convivial, comme socles de prospérité partagée.

Magaye Gaye est un économiste sénégalais, professeur à l’Institut Supérieur de Gestion de Paris

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