L'économiste du Togo

Opinion: Payer la facture climatique de l’Afrique

Les ressources financières du secteur privé sont indispensables à la lutte mondiale contre le changement climatique. Les pays les plus pauvres du monde, et en particulier les pays africains, peinent à assumer le coût d’une crise climatique qu’ils ne peuvent pas se permettre.

Augmenter l’endettement public n’est pas la solution : les besoins en matière d’investissements climatiques dépassent la capacité de prêt des institutions financières multilatérales, et de nombreux pays africains sont déjà en proie à des difficultés de financement.

Il faut trouver de nouvelles solutions, notamment accroître les investissements du secteur privé en faveur de l’action climatique dans les pays pauvres. Ces initiatives ne peuvent pas se limiter à l’échelle d’un pays et doivent viser la réalisation des objectifs mondiaux de zéro émission nette de gaz à effet de serre.

Les enjeux en Afrique sont considérables, car c’est le continent qui contribuera le plus à la croissance démographique au cours des prochaines décennies, et les besoins de financement pour réduire les émissions responsables du réchauffement climatique seront d’autant plus importants.

Dans le même temps, l’agriculture dans la région sera de plus en plus exposée à des pertes de productivité liées au climat. Des millions de familles au Mali, au Niger et au Sénégal connaissent déjà les affres de la désertification, qui devrait s’aggraver si aucune action n’est entreprise pour lutter contre le changement climatique.

Par ailleurs, les grandes villes côtières d’Afrique, comme Lagos, la métropole africaine la plus peuplée, ne disposent d’aucun moyen de défense efficace contre l’élévation du niveau de la mer.

Au vu de la taille de leur économie, les pays africains portent un fardeau disproportionné pour éviter les pires conséquences du changement climatique. Par exemple, alors que la Chine doit augmenter ses dépenses annuelles d’atténuation du changement climatique de 2 % de son PIB jusqu’en 2030, le Cameroun doit accroître les siennes de 9 %, selon les rapports nationaux 2023 de la Banque mondiale sur le climat et le développement.

Les cinq pays du Sahel ouest-africain, à savoir le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, qui comptent parmi les plus pauvres du monde, doivent quant à eux augmenter leurs dépenses d’environ 8 % du PIB en moyenne.

Le financement nécessaire de l’action climatique sur le continent vient s’ajouter aux besoins existants en matière de développement, ainsi qu’aux ressources financières requises pour se relever de la crise de la COVID-19.

L’insuffisance ou l’absence de services publics dans les domaines de la santé, des transports et de l’éducation dans nombre de pays africains freinent la croissance économique, certains pays s’étant endettés pour combler le manque de fonds pour le développement.

Recourir à des emprunts supplémentaires pour financer l’atténuation du changement climatique n’est pas une bonne idée, et ce, pour au moins trois raisons.

Premièrement, les pays pauvres ont une capacité d’emprunt limitée. Ils doivent soit payer des taux supérieurs à ceux du marché pour emprunter sur les marchés internationaux de la dette (Olabisi et Stein, 2015), soit accepter de lourdes conditions de la part des organismes multilatéraux et des institutions de prêt pour le développement.

Face à l’augmentation de la dette, le ratio du service de la dette par rapport aux recettes est source d’inquiétude pour de nombreux États. Parmi les principales économies du continent, la dette de l’Afrique du Sud représentait près de 70 % du PIB en 2021 et celle du Nigéria, environ 40 %.

La pression exercée sur les dépenses et l’incapacité des autorités à y faire face sont à l’origine d’une crise qui n’est pas entièrement imputable aux pays concernés.

Deuxièmement, les besoins d’investissement dépassent les capacités des institutions multilatérales de prêt et de développement. Au niveau mondial, le besoin d’investissement pour contrer les effets les plus néfastes du changement climatique dépasse les 1 300 milliards de dollars par an pour la prochaine décennie.

Ce montant ne permettra pas de résoudre tous les problèmes liés au climat, mais seulement d’éviter les répercussions les plus graves. Selon les estimations de la Banque africaine de développement, l’Afrique devra débourser 3 000 milliards de dollars d’ici 2030. Pour remettre les choses en perspective, le PIB de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne s’élevait à 2 000 milliards de dollars en 2022. Même en ajoutant toute la capacité de prêt de 1 000 milliards de dollars du FMI au portefeuille de prêts de 400 milliards de dollars de la Banque mondiale, il est évident que les institutions financières internationales n’ont pas la capacité de prêt nécessaire pour lutter contre le changement climatique à la vitesse et à l’échelle requises.

Le volume de financement indispensable serait presque atteint si l’on y ajoutait la capacité de prêt des banques régionales de développement. Mais dans ce cas, les banques se limiteraient essentiellement à financer la transition verte et une adaptation impérative au changement climatique au cours des prochaines décennies.

Troisièmement, la dette publique n’est peut-être pas le mécanisme de financement le plus efficace pour certaines des initiatives les plus prometteuses en matière climatique.

L’endettement ne permet pas toujours de déployer des technologies relativement récentes à grande échelle, souvent dans un contexte où ces technologies n’ont pas été mises à l’essai. Certaines des principales méthodes d’atténuation du changement climatique ou d’adaptation à ses effets, telles que l’irrigation des terres agricoles à l’aide de l’énergie solaire ou éolienne, ou la rénovation des habitations et des sites industriels, n’entrent pas dans le cadre des projets publics généralement financés par l’emprunt.

Une bonne partie des fonds nécessaires à la lutte contre le changement climatique est destinée à prévenir de graves pertes humaines et économiques. Le financement de l’action climatique a également pour objectif de renforcer la capacité d’adaptation des économies locales.

En principe, améliorer la capacité d’adaptation ou éviter les pertes de biens ne semble pas être un projet susceptible d’être financé et de produire un flux de trésorerie régulier.

Un financement qui participe à la lutte contre le changement climatique

Compléter la dette par d’autres modalités de financement qui répondent au défi du changement climatique est une nouvelle idée.

L’Afrique est bien placée pour créer de nouvelles opportunités à partir de cette crise. Les besoins en énergie coïncident avec l’abondant potentiel en énergies renouvelables du continent.

Le potentiel solaire de la région surpasse largement ses ressources en combustibles fossiles. Si les pays à revenu élevé sont en quête de marchés, l’Afrique devrait compter 2 milliards de consommateurs de nourriture, d’énergie et d’eau d’ici 2050. Si ce sont la main-d’œuvre et les idées nouvelles qui sont recherchées, la jeune population africaine aspire à des opportunités de travail.

La communauté mondiale peut choisir de sauter les étapes des multiples crises imminentes de financement de l’action climatique et du développement en créant les conditions nécessaires à une transition rapide vers une énergie durable et une consommation responsable des ressources naturelles en Afrique, tant que celle-ci ne compte que 1,2 milliard d’habitants.

Pour relever un tel défi, il est nécessaire d’adopter de nouvelles approches en matière de financement. Les dépenses liées à la lutte contre le changement climatique sont inévitables, compte tenu des graves pertes humaines et économiques associées aux émissions de gaz à effet de serre non maîtrisées. Beaucoup de pays africains ne disposent d’aucune marge de manœuvre budgétaire pour procéder à des ajustements structurels.

Mobiliser les marchés privés

Le secteur privé dispose de suffisamment de ressources pour financer les 1 300 milliards de dollars annuels nécessaires à l’adaptation au changement climatique. Prenons tout d’abord quelques chiffres approximatifs : les 500 plus grandes entreprises mondiales ont réalisé plus de 2 900 milliards de dollars de bénéfices au cours de l’exercice clos en mars 2023, pour un chiffre d’affaires d’environ 41 000 milliards de dollars.

Rien qu’aux États-Unis, l’investissement intérieur privé brut s’élevait à environ 5 000 milliards de dollars au troisième trimestre 2023. Si les entreprises qui réalisent ces investissements convergeaient toutes vers l’action climatique, le secteur privé américain à lui seul pourrait, en principe, financer 15 fois la transition vers les énergies renouvelables au niveau mondial.

Si la plupart des entreprises considéraient la transition vers les énergies renouvelables comme leur principale opportunité commerciale et bénéficiaient d’incitations à investir, sans barrières nationales, l’action climatique connaîtrait un élan salutaire.

Cette démarche pourrait venir compléter d’autres mesures visant la mise en place d’un mécanisme mondial de tarification du carbone si ces dispositifs comportaient de solides engagements à partager les recettes en faveur des pays en développement.

La grande question est la suivante : comment les États et les institutions internationales peuvent-ils inciter les entreprises à protéger les biens communs mondiaux en investissant dans les pays à faible revenu, qui sont ceux qui ont le plus grand besoin de financement pour lutter contre le changement climatique ?

D’une manière générale, les pouvoirs publics peuvent faire pression sur les entreprises pour qu’elles investissent dans une transition écologique en combinant plusieurs approches : réglementation, taxes assorties d’investissements publics directs, ou plafonnement et échange de droits d’émission.

 Par exemple, les exigences relatives aux véhicules à énergie nouvelle en Chine et aux véhicules à zéro émission en Californie ont conduit les entreprises à investir massivement dans de nouveaux systèmes de production. Les mesures réglementaires semblent efficaces, mais il faut aller plus loin.

Si le mécanisme mondial de tarification du carbone est un exemple de taxe, un système mondial de plafonnement et d’échange peut être défini pour fixer des limites à la production économique basée sur les combustibles fossiles, assorties de points échangeables pour la production basée sur les énergies renouvelables, entre autres options.

La pertinence et l’efficacité de chaque approche dépendront respectivement du type d’investissement nécessaire et de l’économie politique en vigueur. Quelle que soit l’approche adoptée par chaque pays, une action climatique efficace gagnerait toutefois à s’appuyer sur les ressources financières du secteur privé lorsque le financement public est limité.

Les incitations publiques à l’investissement privé semblent particulièrement intéressantes pour relever certains des défis qui appellent une action rapide dans les pays à faible revenu, et en particulier dans les pays africains dont la marge de manœuvre budgétaire est étroite.

Cependant, les programmes publics d’incitation actuels visent généralement à stimuler les dépenses en faveur de la réalisation d’objectifs climatiques qui lui sont propres. Ce décalage réside dans le fait que l’action climatique devrait reposer sur une optimisation à l’échelle mondiale.

Le schéma actuel des investissements énergétiques en Afrique met en évidence à la fois la possibilité de faire mieux et l’échec d’un système dépourvu d’incitations coordonnées. 

On peut parler de défaillance lorsque des pays d’Europe du Nord, tels que l’Allemagne et le Royaume-Uni, déboursent des milliards pour financer l’installation sur place de panneaux solaires qui pourraient produire 40 % d’énergie en plus dans un pays tropical comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana.

 Investir des milliards dans de nouveaux parcs éoliens en Californie, qui produisent moins d’énergie par dollar qu’un investissement comparable au Kenya, relève de la même erreur.

Si l’immense potentiel d’énergie renouvelable des régions proches de l’équateur peut être intégré dans les chaînes de valeur mondiales par le biais du commerce — ce qui se traduira par des gains sur le plan climatique, ainsi que par des bénéfices qui reviendront aux sources allemandes, britanniques ou californiennes des investissements —, il s’agira peut-être de la victoire politique du siècle.

Une solution gagnant–gagnant

L’accélération de la transition vers les énergies renouvelables dans les pays africains s’impose pour le bien de la planète. Si elle est menée correctement, tout le monde peut y trouver son compte. Les économies locales y gagneront, car l’investissement stimulera le développement local.

L’économie mondiale sera aussi bénéficiaire grâce à des profits durables et aux pertes climatiques évitées. Si ce scénario gagnant–gagnant est freiné sur le plan politique, c’est parce que l’accord mondial sur l’action climatique n’a pas assez de mordant et que les rétributions des acteurs privés qui investissent dans l’action climatique sont limitées par les frontières nationales.

Le schéma actuel des investissements énergétiques en Afrique met en évidence à la fois la possibilité de faire mieux et l’échec d’un système dépourvu d’incitations coordonnées (Olabisi, Richardson et Adelaja, 2022). Le financement public et privé de l’énergie par les pays du Groupe des Vingt et les banques multilatérales de développement en faveur des pays africains s’est élevé en moyenne à environ 35 milliards de dollars par an entre 2012 et 2021.

 Le secteur privé a fourni un peu plus de 40 % de ce financement. La majeure partie des fonds (83,5 milliards de dollars) a été consacrée à des projets de gaz et de gaz naturel liquéfié (Moses, 2023). Les dépenses affectées à d’autres sources d’énergie, y compris les options renouvelables, telles que le solaire, l’hydroélectricité et l’éolien, sont nettement moins élevées.

Les entreprises sont disposées à investir pour répondre à la demande d’énergie en Afrique, ce qui signifie que le fardeau de l’investissement ne sera pas uniquement porté par le secteur public, mais leurs initiatives sont motivées par les gains à court terme, tels que ceux obtenus grâce aux combustibles fossiles. Imaginez l’impact d’un fonds mondial pour le climat qui financerait les incitations marginales permettant au secteur privé d’obtenir des rendements pour l’énergie solaire et éolienne en Afrique qui seraient supérieurs à ceux des projets gaziers.

Il faudra bien qu’un jour, les responsables politiques et le secteur privé s’accordent sur le fait que la meilleure façon de tirer profit de l’entreprise privée doit être écologiquement durable, ou mieux encore, que l’approche à adopter devrait être d’assainir la planète afin d’améliorer la qualité de vie des générations futures.

Moyennant un encadrement politique approprié, le secteur privé et les marchés d’actions associés peuvent orienter leurs ressources vers le financement d’une transition verte, et ce, plus rapidement que les États ne peuvent emprunter dans le cadre d’une approche purement publique visant à préserver les biens communs de la planète.

Il existe aujourd’hui des entreprises privées d’envergure internationale dans le secteur des énergies renouvelables, ce qui n’était pas ou guère le cas il y a 30 ans. De plus en plus d’entreprises pesant des milliards de dollars dans ce secteur ont la possibilité de se développer davantage si les pouvoirs publics prennent les bonnes dispositions. La rapidité nécessaire pour mener une action climatique efficace, en particulier dans de nombreux pays africains, exige des initiatives du secteur privé, ainsi qu’une gouvernance mondiale avisée. Pouvons-nous imaginer un avenir où la majorité des entreprises poursuivront un objectif de durabilité écologique à l’échelle mondiale parce que leur durabilité économique en dépend ?

MICHAEL OLABISI est professeur assistant à l’Université d’État du Michigan.

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