Dans une interview exclusive accordée à L’Economiste du Togo, Régis ZAGBADI, Data Protection Officer , Risk et Compliance Officer et promoteur du cabinet de conseils IZAQA, partage son expertise sur les enjeux des Fintechs dans l’espace UEMOA.
Fort d’une expérience solide, incluant des postes au sein de BNP Paribas et ARKEA Banque Entreprises et Institutions ainsi que DJAMO, Régis ZAGBADI met en lumière les risques spécifiques auxquels sont confrontées les Fintechs de la sous-région. Il aborde également la nécessité d’une conformité rigoureuse pour obtenir les agréments nécessaires, soulignant l’importance de conseils éclairés dans un secteur en constante évolution.
L’économiste : Dites-nous, c’est quoi une Fintech ?
Régis ZAGBADI : Fintech vient de l’Anglais. C’est la contraction de deux mots Financial – Technology qui veut dire Finance et Technologies. Quand on ramène ça en français ça veut dire l’entreprise de technologie financière.
C’est une entreprise qui utilise la technologie pour répondre aux besoins des usagers et clients dans la finance.
Classiquement, on a des Banques traditionnelles, des assurances, des microfinances. Donc la Fintech va s’appuyer sur la technologie pour pouvoir proposer les services à savoir les moyens et services de paiement, les moyens d’épargne, des solutions de crédit…
De manière assez synthétique, c’est une entreprise qui émet des produits et services financiers à partir de la technologie dans le but de rendre ces produits et services plus accessibles aux populations.
L’économiste : Dans notre espace communautaire, il y a combien de types de Fintech ?
Régis ZAGBADI : Dans notre espace communautaire, il y a plusieurs Fintech qu’on peut regrouper en trois grandes catégories.
On a des Fintechs qui font des services de paiement adossés à la monnaie électronique. Donc ces Fintech là, elles vont distribuer les cartes prépayées ,elles vont permettre de faire des transferts Mobile Money, d’un opérateur à un autre, il y en a qui font des transferts sur le même réseau téléphonique .
On a aussi d’autres intervenants dans les services de paiement qui sont des agrégateurs, des établissements de paiement, des initiateurs de paiement. On les regroupe sous le vocable de Prestataire de Services de Paiements ou PSP.
Une dernière catégorie: ce sont celles qui évoluent dans le domaine du transfert rapide d’argent.
C’est vraiment les grandes catégories qu’on a et en termes de chiffres, en 2022, la BCEAO comptabilisait plus de 170 c’est vrai que les chiffres ne sont pas d’actualité mais aujourd’hui on doit être au-delà de 200.
L’économiste : Quels types de Fintech ayant de l’avenir ?
Régis ZAGBADI : Je dirai que les trois ont de l’avenir parce qu’elles répondent à des besoins surtout dans une communauté monétaire qui grandit. Mais la tendance aujourd’hui, c’est les services de paiement.
On a ceux qui font du Mobile Money, on fait du transfert d’argent, il y a des agrégateurs aujourd’hui, ils vont permettre à d’autres acteurs de pouvoir faire des paiements. La tendance, ce sont les acteurs qui vont permettre aux clients de faire du paiement avec leur téléphone, payer sans se déplacer.
L’autre tendance qui va beaucoup se développer c’est ce que font les banques aujourd’hui: pouvoir épargner, pourvoir obtenir des crédits. Tous les acteurs qui s’orientent vers ce marché, ce marché de Lending , comme on l’appelle, ont de l’avenir.
L’économiste : Quels sont les risques dans le secteur des Fintechs ?
Régis ZAGBADI : Dans notre jargon on parle de risques opérationnels, ici on va parler de tout ce qui est risque de blanchiment. Les risques de blanchiment, c’est que les responsables de plusieurs Fintechs sont des jeunes acteurs, donc ils n’ont pas suffisamment l’outillage pour lutter contre le blanchiment de capitaux.
Il y aussi des risques de fraudes, donc les produits développés par les Fintechs ainsi que les services proposés seront utilisés comme des passerelles pour frauder. Ça peut être la fraude externe et la fraude interne. Les travailleurs des Fintechs peuvent être les acteurs de fraudes, ou les points de vente, ceux qui font mobile Money notamment les agents de vente vont trafiquer.
Par exemple, il y a une situation qui arrive souvent: les agents de point de vente font plusieurs opérations en vue d’obtenir des commissions, c’est des choses qui arrivent souvent dans le Mobile Money c’est de risques de fraudes.
Il y aussi je dirai les risques de non conformité qui portent sur la réglementation c’est-à -dire ne connaissant pas ce que la réglementation demande il y a des Fintechs qui vont opérer sans avoir eu l’aval, l’agrément ou l’autorisation de la banque centrale. Il y a des Fintechs qui opèrent sans être distributeurs, les partenaires techniques de la banque centrale. Pour la monnaie électronique, il y des Fintechs qui évoluent dans un flou juridique, donc il y a des risques réglementaires.
Il y a aussi des risques d’image, qui est un risque qui peut avoir une grosse incidence parce que le risque d’image est difficilement quantifiable. Ce sont vraiment ces risques que je synthétise aux risques opérationnels et puis réglementaires et un risque de non conformité sans pour autant rentrer vraiment dans les détails.
Ces risques qui planent sur les Fintechs pour lesquels aujourd’hui on est en train de travailler pour qu’elles comprennent non seulement que ces risques existent mais aussi, il faut mettre en place des outils et dispositif pour les prévenir, les détecter et même les réduire par des accompagnements adéquats avec des acteurs qui sont sur la place tel que le cabinet IZAQA.
L’Economiste : Vous venez de créer une structure dénommée « izaqa » qui veut accompagner les Fintechs, parlez-nous de votre structure et de ses principales missions ?
Régis ZAGBADI : L’idée de création de IZAQA est née d’un constat et de plusieurs besoins. Je suis dans le domaine de la conformité depuis des années et pendant près de quatre ans, j’ai été dans une Fintech où j’ai eu à travailler sur les questions de risques, gérer le département juridique et gérer aussi la conformité. Donc j’ai monté de toute pièce le département conformité et tout ce qui s’ensuit.
Et je me suis rendu compte que c’était des besoins qui existaient. Pour les autres Fintechs que j’ai pu observer, il avait ce besoin d’être structuré, par contre, beaucoup de Fintechs n’avaient pas cet accompagnement. Elles avaient du mal avec des questions de conformité, les questions réglementaires. Elles ne connaissaient pas trop la réglementation dans l’espace l’UEMOA car elle n’ont pas le personnel requis ou elles n’ont pas la bonne information.
L’idée est venue de pouvoir leur offrir ce cadre d’accompagnement et stratégique, un cabinet qui est dédié à ces questions. D’où la création de IZAQA.
Pour l’instant dans la zone l’UEMOA, nous sommes le seul cabinet du risque de la conformité uniquement dédié aux Fintech. Donc notre cible c’est les Fintechs, on ne s’occupe que des Fintechs, on les accompagne sur toutes les questions transversales de conformité: le Risques, la Protection des données à caractère personnel et la Conformité.
Comment mettre en place un dispositif de conformité, un outil de LCB-FT? Comment obtenir des autorisations auprès des régulateurs? Comment traiter des données à caractère personnel? Nous aidons sur ces sujets et accompagnons pour l’obtention des agréments via des solutions sur mesure.
Lorsqu’une Fintech veut se lancer par exemple dans la zone l’UEMOA, très souvent elle a le produit, mais elle ne sait pas sous quelle qualité aller.
Est-ce que ce qu’elle veut faire, est réglementairement admis? Pour éviter qu’elle se plante et gaspille de l’énergie et des sous, on va lui proposer un accompagnement à 360° depuis la conception du produit, depuis la mise en conformité de ce produit et on agit vraiment sur une longue prestation.
On a une prestation qui fait la cartographie et la gestion du risque, IZAQA fait de la formation sur la Lutte contre le blanchiment, on fait aussi l’accompagnement pour la mise en conformité des données à caractère personnel.
Et ce qu’on apporte aussi c’est qu’on peut intervenir en tant que Directeur en conformité externe, c’est à dire que sur une durée bien précise on accompagne ces Fintechs sur des sujets ponctuels en interne, former en interne les équipes, former les fondateurs parce qu’on a des CEO qui sont très bon mais qui ne savent pas comment ou ce que la réglementation demande . On peut bien intervenir en qualité de Consultant ou en Directeur Conformité Externe.
C’est une structure qui est très ambitieuse, la preuve, on est au Togo dans le cadre de la grande rencontre des compliance et Risks officers organisée par l’ACA et par mon ami Nikada BATCHOUDI que je salue de passage.
IZAQA est un sponsor de cet événement parce qu’on veut être là où les Fintechs se retrouvent pour leur dire qu’on est leur côté, on peut leur apporter cette expertise cet accompagnement, parce que nous même nous sommes les gens du milieu des FinTech et de la conformité, elle s’adapte à la taille et à la nature de l’entreprise voilà ce que je peux dire sur IZAQA
L’Economiste : Quels conseils vous donnez au promoteur de ces Fintechs ?
Régis ZAGBADI : Le conseil que je peux donner à ces promoteurs des Fintechs, en premier temps c’est de se faire accompagner parce que comme je le dis souvent, de deux choses l’une : soit on sait le faire ou soit on ne sait pas le faire.
Si on ne sait pas le faire, il faut se faire accompagner.
Tous ceux qui sont dans le secteur des Fintechs, il faut vraiment se faire aider. La BCEAO a un département dédié aux Fintech, il faut s’y rendre pour avoir des informations. Il faut aussi voir les autorités compétentes notamment des ministères en charge de tout ce qui est numérique, NTIC il faut aller vers ces structures. Il faut se faire accompagner par des cabinets c’est très important.
L’autre aspect très crucial, il faut croire en soi. Aucun projet ne connaît du succès sans une véritable confiance en soi. Il faut vraiment y croire, travailler vraiment dessus c’est très important.
L’Economiste : La Banque Arabe pour le Développement Economique en Afrique (BADEA) et la BRVM dont le siège se trouve à Abidjan ont signé la semaine passée une convention de partenariat pour le financement des Petites et Moyennes Entreprises (PME) de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), comment appréciez-vous ce partenariat et qu’est-ce que vous attendez de plus de cette convention ?
Régis ZAGBADI : C’est déjà une bonne initiative que les bailleurs externes puisent saccoier aux bailleurs de fonds locaux pour accompagner les Petites et Moyennes Entreprises (PME). La première des choses est que l’économie de nos Etats membres va pouvoir se développer par les entités telles que les PME.
Si vous prenez le nombre d’ entreprises par pays, vous verrez que le nombre des PME est plus élevé que le nombre de grandes entreprises puisque l’économie est ténue par de petites et moyennes entreprises.
Et il faut accompagner ces PME donc ce partenariat entre la BRVM et la banque arabe est à saluer. Il offre un couloir pour améliorer le financement des PME. Cet accord va permettre d’avoir des financements via un accès au marché de la dette ou via un accompagnement en fonds propres. C’est une avancée et une aubaine pour les PME de l’union.
Maintenant il faut qu’il y ait un suivi pour que les PME qui vont en bénéficier le méritent et soient accompagnées. Cet accord entre les deux grandes entités va booster l’économie de la sous-région.
L’Economiste : Le 1er octobre passé, l’Autorité des Marchés Financiers de l’Union Monétaire Ouest Africaine (AMF-UMOA) a organisé une cérémonie officielle de lancement de l’étude de faisabilité pour la création d’un marché obligataire dédié aux Petites et Moyennes Entreprises (PME). Croyez-vous à un tel marché, si oui ou non pourquoi ?
Régis ZAGBADI : Oui, je crois fortement à cette initiative parce que notre zone a fait ses preuves. On a commencé petit à petit et aujourd’hui, on a une zone monétaire qui a résisté face à COVID-19. De mémoire, je me rappelle bien que notre zone a résisté aussi face à la crise des subprimes en 2008. On a pu quand même résister avec toutes les menaces actuelles. Donc je crois que par essence on a une zone qui résiste qui va faire de bonnes choses.
Cela dit, toutes les initiatives sur l’accompagnement des acteurs de développement que sont les PME au niveau de l’AMF-UMOA sont de bonnes initiatives.
Encore une fois, je pense que le développement peut se faire par les PME, des acteurs qui sont auprès de nos populations et qui ont des services et produits qui touchent le quotidien de nos populations. En les accompagnant, on accompagne indirectement la population.
S’il y a des mesures de financement alternatif qui peuvent leur permettre de développer leur expansion et aider à la création d’emploi, c’est à saluer. Cette étude vise à proposer des solutions de financements complémentaires à celles qui existent au sein de notre marché financier.
L’étude permettra d’avoir une précision sur les spécificités des PME et d’aligner en conséquence les solutions de financements.
Vous êtes à Lomé dans le cadre d’une conférence internationale des « compliance et risk officers au Togo », vous avez co-animé un panel sur « la conformité et la gestion des risques dans le secteur financier en Afrique », quels sont les véritables risques dans le secteur financier et comment cela se gère? Que peut-on retenir de votre intervention ?
Régis ZAGBADI : Exactement ! Le thème est « la conformité et la gestion des risques dans le secteur financier en Afrique ». J’ai abordé d’abord l’aspect des risques, comme je l’ai souligné en haut.
Il y a des risques opérationnels notamment le blanchiment de capitaux, mais aujourd’hui on s’arrête plus au blanchiment de capitaux, on ajoute aussi le financement de la prolifération des armes de destruction massive.
Il y a aussi des risques de fraudes dont j’ai parlé tout à l’heure et des risques réglementaires qui sont des risques de non conformité vis à vis de la réglementation en terme d’agrément, il y a aussi des risques IT ou des risques technologiques donc la menace elle n’est pas que textuelle, elle n’est pas que structurelle, elle peut être aussi dans la technologie. Et nos états ou notre secteur ne sont pas en marge.
On a à côté de ça aussi des risques juridiques, les risques légaux, notamment la mauvaise connaissance des aspects juridiques peut être aussi un risque à traiter.
Une fois qu’on détermine ces risques, c’est comment est ce qu’on les traite, c’est de pouvoir les classer. Leurs classifications vont passer par une évaluation de leur impact, de leur gravité.
Quand ces risques surviennent, quel impact ils ont sur l’économie, sur la structure, sur l’entité, et même à un niveau élevé sur le pays?
Une fois qu’on a identifié les risques et qu’on arrive à synchroniser la probabilité, la survenance, l’impact et la gravité, il faut maintenant mettre en place un dispositif de maîtrise de risque.
Alors quelles sont les mesures que je peux prendre pour prévenir ces risques? Il faut dire qu’ une fois qu’on a fait la mise en place de son dispositif de maîtrise de risque, on évalue ce dispositif pour être sûr que c’est performant .
Ensuite on veille à avoir des procédures, des politiques, que le personnel qui s’occupe de ce dispositif soit formé et puis faire des évaluations régulières semestrielles ou annuelles et puis une fois qu’on a fait ce parcours là, au bout de la course, on regarde maintenant le risque qu’on avait au départ une fois l’a traité, est ce qu’il est toujours présent, il a même impact, la même gravité , est ce que ici on parlera du risque résiduel, le risque résiduel est très important.
Généralement lorsqu’on a mis en place un bon dispositif de maîtrise des risques, très souvent on atterrit sur un risque qui est moindre. Sachant que si le risque n’est pas moindre, et qu’on ne peut pas l’accepter il faut simplement cesser d’exercer l’activité qui génère ce risque ou autrement il faut transférer le risque pour qu’on puisse le partager avec d’autres entités . Il est conseillé de solliciter les assurances avec qui on partage le risque là. Ce sont des mesures qui sont mises en place, lors de cette grande conférence.
Durant cette Grande Rencontre, nous avons parlé du cadre réglementaire, des grands acteurs et puis parler de Compliance et du Risk officer
Nous avons aussi abordé la question de comment l’on gère la connaissance du client ce qu’on appelle en anglais le KYC, c’est une évaluation approfondie qui permet de pouvoir traiter les risques de pouvoir les anticiper.
Comment par exemple faire un examen approfondi sur vos clients? Vérifier et savoir qui se cache derrière la structure, qui le contrôle, tout cela permet de pouvoir gérer vos risques.
Ça été vraiment une belle expérience et beau voyage, je n’ai pas regretté de venir. J’ai eu l’occasion de rencontrer d’autres acteurs et ici au Togo on a une grande communauté de Compliance et Risk officer très très active.
Je salue l’initiative prise par mon cher ami Nikada BATCHOUDI et ses partenaires pour initier ce grand rendez-vous et faire en sorte que le Togo soit véritablement le creuset de tous les Compliance et Risk officer. Je pense que le Garde des sceaux Monsieur Ministre l’a dit, le Togo sera une plateforme qui permettra à tous les acteurs du risque et de la conformité de se retrouver chaque année.
C’était la première édition, on reviendra pour la deuxième édition l’année prochaine.
L’Economiste : Nous sommes à la fin de l’entretien, quel est votre mot de fin ?
Régis ZAGBADI : Pour finir je tiens sincèrement à vous remercier pour cette interview. Merci pour tout ce que vous faites pour l’économie et la finance. J’étais très heureux de partager ces mots avec vous. Je souhaite plein de bonnes choses au monde des Fintechs, au monde de la finance, aux secteurs bancaires, aux secteurs des entités réglementées et puis bonne lecture à vos lecteurs.
Nous sommes disposés en tant que IZAQA pour accompagner tous les acteurs qui veulent se lancer dans le monde des Fintechs, qui veulent se lancer dans tous produits et toutes initiatives qui vont aider l’inclusion financière et donner un accès facile aux produits financier à nos populations dans la zone UEMOA.
Midas Tigossou et Dieudo Lebon