L'économiste du Togo

Mobilisation de ressources intérieures :  Magaye GAYE apprécie et s’interroge sur le modèle togolais

La Banque africaine de développement (BAD), dans le rapport « Performances et perspectives macroéconomiques de l’Afrique » publié le 18 janvier dernier révèle que le Togo est un modèle de mobilisation de recettes intérieures. Les recettes sont ainsi passées de 14,8% du PIB en 2019, avant la pandémie de la Covid-19, à 15,5% du PIB en 2021, avant de s’établir à 15% du PIB un an plus tôt. Les recettes fiscales atteindraient 15,9% du PIB en 2022, encore une fois supérieures à la moyenne africaine de 13,9% sur la même période. L’ancien cadre du Fonds Africain de Garantie et de Coopération Économique (FAGACE) et de la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD), M. Magaye GAYE apporte son éclairage sur cette performance togolaise. 

L’économiste du Togo : Comment apprécier cette mobilisation des ressources intérieures du Togo.

Magaye GAYE : Du point de vue fiscal, cela peut paraître une avancée macroéconomique certaine mais il va falloir étudier en détail les raisons, les paramètres de cette augmentation, de cette mobilisation accrue des ressources. Est-ce que c’est lié à des taxations supplémentaires des entreprises existantes mais également sur les ménages ou bien est ce qu’il s’agit d’un élargissement de la base fiscale vers d’autres acteurs qui ne contribuent pas jusqu’à présent à l’impôt ? Et je pense également qu’on peut poser la question de savoir, est ce que cette augmentation de fiscalité est liée à une croissance beaucoup plus soutenue qui fait effectivement que le Togo a pu avec les mêmes paramètres en termes de recettes beaucoup plus importantes. C’est à étudier de manière très approfondie afin de pouvoir avoir un jugement beaucoup plus intéressant.

Cette forte mobilisation n’a-t-elle pas de conséquence négative sur l’économie et sur les prix sur le marché 

Évidemment oui, comme je le disais sous réserve d’étudier de manière approfondie les tenants et les aboutissants de cette augmentation de recette fiscale, si l’hypothèse consiste à penser que le Togo taxe beaucoup plus sur les entreprises est une hypothèse plausible est vérifiée, cela pourrait être quelque chose d’assez mitigé en terme de résultats parce que comme vous le savez les entreprises après la période de Covid19 ont besoin des ressources fiscales, des ressources tout simplement pour pouvoir vivre et investir. 

Si maintenant le Togo dans le cadre de sa politique a décidé de ponctionner ses entreprises, les ménages cela risque d’affaiblir bien attendu l’investissement mais également la consommation avec comme effet de ne pas du tout relancer de manière durable la croissance économique donc ça c’est la première hypothèse. Donc j’espère que ce n’est pas vraiment la cause principale.

 Maintenant, le défi également, c’est de permettre au Togo d’élargir sa base fiscale en faisant en sorte que le secteur informel puisse s’ériger de plus en plus en secteur formel et puisse véritablement contribuer à la charge fiscale. 

À ce niveau, vous avez vu les commerçants qui sont à Dékon et qui sont un peu éparpillés et qui ne contribuent pas au régime fiscal de l’Etat. Quelque part, c’est important de voir quels sont les moteurs de cette mobilisation de recettes. 

Cela permettra de voir s’il y’a un effet d’éviction c’est à dire, prendre des entreprises et les ménages pour alimenter les caisses de l’Etat, cela reviendrait quelque part à privilégier les infrastructures mais également à privilégier pourquoi pas les salaires payés aux fonctionnaires comme vous le savez, les fonctionnaires très peu nombreux comparés à la grande majorité de la population.

Quelles sont les limites d’un tel modèle ?

Je suis toujours assez perplexe par rapport à un tel modèle pour une raison très simple. Nos États depuis les indépendances n’ont pas du tout montré une grosse efficacité en matière de politique économique, ça c’est le premier élément.

La corruption est galopante partout en Afrique faite de règles.  En ce qui concerne la passation du marché, une étude réalisée par la Commission Économique pour l’Afrique (CEA) en relation avec les Nations-Unies. C’est une étude qui avait été conduite par Tabo M’beki, l’ex-président de l’Afrique du Sud. Il avait montré que chaque année plus de mille milliards de dollars sortaient illégalement du continent pour aller dans les paradis fiscaux.

 Lors que les colonisateurs sont partis, ils ont laissé une forme d’organisation économique basée sur l’Etat. L’Etat a eu tout comme la police, la gendarmerie, les recettes fiscales, des experts au départ chevronnés en système décentralisé. Cet Etat par contre, on lui avait demandé de ne pas investir, de ne pas être un Etat capitaine dans le jeu mais un Etat entraîneur, raison pour laquelle l’Etat a laissé le secteur privé se débrouiller.

 Or, aujourd’hui, tout le monde voit que le secteur privé n’est pas encore lui-même suffisamment aguerrit pour arrimer nos politiques économiques vers le progrès. Donc dans ces conditions-là, si l’Etat décide encore une fois de ponctionner sur ses entreprises mais également sur les ménages, en augmentant les recettes fiscales mais sans pour autant véritablement investir de manière efficace, j’allais dire vers la production nationale d’abord, la transformation au lieu tout simplement d’investir dans les stades de football, des infrastructures qui n’ont qu’aucune utilité comme les centres de conférence, etc… 

Il faut que l’État puisse véritablement regarder là où il investit. Moi-même, je suis un ancien cadre de la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD). Je sais que si quelque part la BOAD a été une banque qui a su résister aux crises, c’est parce qu’elle a su bien choisir ses projets, des projets qui ont un impact en termes de rentabilité mais également qui ont un impact en termes de durabilité. 

C’est ce qui fait que, aujourd’hui elle fait partie des rares banques qui avaient existés dans les années 70 et qui continuent aujourd’hui d’exister. Donc, je crois que ce modèle qui consiste vraiment à ce que l’État puisse ponctionner pour augmenter ses recettes fiscales dans l’absolu, ça peut être une bonne chose mais à deux conditions : 

Première condition : Que l’Etat utilise à bon escient ses ressources vers les secteurs vitaux, les secteurs qui ont un fort impact sur le développement.

Deuxième condition : Que l’Etat puisse gérer en bon père de famille, effectivement ses deniers publics de manière à éviter le gaspillage souvent orienté vers des institutions démocratiques souvent sans grande valeur ajoutée pour les enjeux de gouvernance.

Dans beaucoup de pays, vous avez des conseillers économiques, sociales et environnementales, des hauts conseils pour les collectivités territoriales. Vous avez tout un tas d’institutions pour caser des clientèles politiques. Il faut qu’à même que l’État puisse se reformer de manière à ce que véritablement ses deniers puissent être utilisés de manière très efficace vers la création d’unité de transformation des matières premières vers la création d’unité capable d’ériger des industries de substitution aux importations parce que, on importe beaucoup en Afrique, mais malheureusement au lieu de le dépenser dans des secteurs qui n’ont pas un grand impact sur l’économie. 

 Est-ce que la mobilisation des ressources intérieures n’a pas de conséquences sur le pouvoir d’achat des togolais. 

Évidemment, si une telle augmentation des ressources intérieures a pour moteur et origine une ponction sur les ménages togolais ; cela peut amoindrir l’épargne, la consommation. Aujourd’hui, tout le monde sait que les ménages sont très fatigués, les entreprises aussi du fait d’abord de cette inflation galopante qui fait que malheureusement les acteurs économiques ont vu le pouvoir d’achat s’effrité, les prix ont augmenté, les prix du pétrole également. Partout, les États sont entrain de réajuster, les subventions de l’électricité à la baisse et bien je pense que dans un tel contexte ponctionner aussi les ménages ne me paraissent pas une très bonne solution. Je crois que les États devraient s’orienter plutôt à l’alternative vers des politiques d’austérité.

Regarder comment réduire le train de vie des États. Je crois que c’est fondamental, il faut réduire le train de vie des États. En ce qui concerne le Togo, je pense que très honnêtement j’ai pu comparer un peu la période du feu Gnassingbé Eyadema et Gnassingbé Faure, je crois qu’il y’a une avancée parce qu’il m’arrive parfois de venir en mission là-bas mais je trouve pour ma part qu’il y’a des infrastructures qui sont érigées.

Je vois également que le Togo est un pays qui a une bonne pluviométrie. C’est un pays qui à mon avis est en train de se battre et il faudrait que tout le monde puisse encourager ce pays qui est en train de travailler de manière discrète et je pense que quelque part il faut saluer les efforts qui sont conçus par le gouvernement Togolais dans la discrétion la plus totale et je pense également que quelque part ce modèle qui consiste à travailler dans la discrétion mais également à montrer sa capacité de médiateur au plan international. Cela me paraît une excellente chose. 

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