L'économiste du Togo

Positionner la BOAD comme une maison de solutions

Alors que la Banque ouest-africaine de développement célèbre son jubilé d’or, son président, Serge Ekué, décrypte le plan Djoliba et des raisons pour lesquelles il est important de maintenir un leadership africain au sein des banques de développement.

Avant de prendre ses fonctions de président de la BOAD (Banque ouest-africaine de développement) en 2020, Serge Ekué s’était déjà forgé une solide réputation de banquier hors pair sur la scène internationale.

Il a travaillé à un niveau très élevé au sein de la banque d’investissement de Natixis à Paris, Hong Kong et Londres avant que l’appel à revenir en Afrique ne devienne trop fort pour être refusé.

Il a donc apporté plus de vingt ans d’expérience dans la finance internationale, les financements structurés et les marchés de capitaux à son nouveau rôle à la tête de la BOAD, une institution multilatérale de financement du développement dédiée à la promotion du développement et de l’intégration économique entre les États du bloc régional.

Pour le continent, une direction africaine d’une autre institution mondiale serait l’occasion d’accorder aux questions africaines l’attention et la compréhension qui ne sont pas toujours garanties.

Pour Serge Ekué, ce pivot vers le financement du développement était une occasion bienvenue d’appliquer ses talents et son expérience à une finance plus concrète ou « tangible », comme il l’appelle.

C’est ce qui l’a poussé à quitter Londres pour Lomé, où se trouve le siège de la BOAD. « J’étais surtout motivé par le désir de contribuer à l’avenir prometteur du continent et d’exploiter ses ressources incroyablement vastes et sa capacité d’évolution et de changement.

Je voulais également participer aux efforts visant à résoudre les principales contraintes, telles que l’autonomie du pouvoir, l’accès à l’éducation, le logement, l’emploi, l’émancipation des femmes et la nécessité de jeter les bases qui permettront aux générations futures d’exceller et de réussir », relate-t-il.

Créée en 1973, la BOAD est la principale institution commune de financement du développement de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest).

Au fil des ans, la BOAD a financé des secteurs tels que l’agriculture, l’éducation, les soins de santé et les transports, contribuant ainsi à l’amélioration des infrastructures et des services sociaux. Elle a contribué à réduire la pauvreté et à améliorer la qualité de vie dans la région, nous dit le banquier.

Approfondir le travail

Serge Ekué estime que la banque peut être « fière » de son jubilé d’or. Elle a mobilisé des investissements à hauteur de milliards de dollars dans les économies de la région, avec un impact palpable sur la vie des citoyens. Ces investissements ont permis d’élargir l’accès à l’électricité, de construire des routes indispensables et d’autres infrastructures qui ont amélioré les services sociaux tels que la santé, l’éducation et l’accès à l’eau potable.

Serge Ekué se montre enthousiaste quant à l’impact du plan actuel de la Banque, le plan Djoliba 2021-2025. Nommé d’après le magnifique fleuve Niger, qui coule sur les terres de nombreux pays, il sert de lien entre les peuples d’Afrique de l’Ouest et, en fin de compte, l’océan Atlantique.

Le plan vise à consolider le rôle que la banque joue depuis sa création, en approfondissant les investissements dans les transports, l’électrification, le logement abordable et la numérisation, ainsi qu’en soutenant les efforts visant à stimuler la production et la création de chaînes de valeur régionales. « Le Plan Djoliba, c’est effectivement 5 milliards d’euros supplémentaires sur cinq ans, soit 1,2 milliard d’euros supplémentaires d’ici à 2025 », précise Serge Ekué.

En juin 2023, la banque avait déboursé environ 1 500 milliards de F.CFA (2,3 milliards d’euros) sur les 3 300 milliards F.CFA (5 milliards d’euros) qu’elle s’était engagée à mobiliser et à dépenser pour des projets dans les économies des États membres dans le cadre du plan.

Serge Ekué explique que ce chiffre augmentera en fonction de l’effort de capitalisation de la banque. Une première levée a augmenté son capital de 554,35 milliards de F.CFA (845 millions d’euros), ce qui, selon lui, « donnera à notre institution les leviers nécessaires pour mettre en œuvre son plan stratégique 2021-2025 et maintenir ses ratios d’endettement et d’adéquation des fonds propres à des niveaux confortables ».

Le plan prévoit également des changements dans la structure organisationnelle et la composition de la main-d’œuvre afin de permettre à l’institution de renforcer sa capacité à atteindre ses objectifs. En d’autres termes, il veut donner un coup de fouet aux décaissements et aux interventions.

À plus long terme, la banque annoncera, après des consultations approfondies avec les parties prenantes concernées, une feuille de route sur cinquante ans qui guidera ses activités au cours du prochain demi-siècle de son existence.

S’adapter à l’évolution des paradigmes

« Nous organiserons des ateliers thématiques sur nos cinq domaines prioritaires. Nous aurons également des réunions avec les investisseurs et le secteur privé, ainsi qu’un sommet politique qui permettra de présenter notre plan à l’UEMOA et aux chefs d’État pour validation. »

Fondamentalement, cependant, le rôle de la banque restera le même. « Il est évident que dans les années à venir, la BOAD, comme toute autre institution de financement du développement, continuera à jouer son rôle contracyclique pour soutenir les efforts de développement de ses États membres, qui sont de plus en plus confrontés à des défis tels que les contraintes budgétaires. »

Si l’objectif reste le même, les outils peuvent différer, en raison, du moins en partie, de l’évolution du paradigme dans lequel la banque opère.

Dans les années post-Covid, la situation budgétaire de plusieurs pays de la région s’est considérablement détériorée et des stratégies qui auraient eu du sens dans le passé ne sont peut-être plus aussi appropriées aujourd’hui.

Et donc, Serge Ekué et la banque s’adaptent. « En fin de compte, le plus important est que nous soyons capables de trouver un moyen d’exécuter des transactions avec le financement le moins cher possible, d’obtenir les meilleurs actifs possibles et de voir comment ils peuvent être utilisés au profit des habitants de la région. »

Ce pragmatisme reflète et sous-tend le type d’institution qu’Ekué souhaite que la BOAD devienne : une banque axée sur les solutions.

« Ce qui m’intéresse en permanence, c’est la façon dont nous pouvons être perçus comme une véritable banque de solutions. Cela signifie que nous faisons tout ce qu’il faut pour apporter des solutions, pour trouver les meilleurs moyens, les financements les moins chers et les fonds à plus longue échéance, et pour créer des actifs. L’objectif est essentiellement de trouver des solutions pour nos clients et pour nos actionnaires. »

Cela signifie, explique-t-il, que la banque n’est pas attachée à une approche particulière et qu’elle se concentre sur la fin plutôt que sur les moyens. Il s’agit vraiment d’un état d’esprit axé sur les solutions, bien plus que sur les processus et les procédures.

Les IFD africaines à l’œuvre

Il a été agréablement surpris, ajoute-t-il, par la qualité des équipes qu’il a trouvées à la BOAD. Elles sont agiles, réactives et ouvertes aux nouvelles idées.

Ce que la banque doit fournir, c’est du capital et la BOAD prévoit d’augmenter son capital en deux phases. La première phase de 554,35 milliards de F.CFA, décidée et achevée cette année, augmentera le capital de première catégorie et proviendra des contributions des actionnaires de catégorie A et B par le biais d’instruments très simples.

« En outre, nous travaillons sur des structures hybrides avec des transactions hautement subordonnées avec la plus grande part possible de fonds propres. »

Car l’essentiel est que « notre institution dispose de fonds propres et d’une excellente structure financière qui lui permette d’accroître ses ressources », explique Serge Ekué.

Les crises récentes ont démontré le rôle significatif des institutions africaines de financement du développement pour les pays africains et leurs économies. Alors que les marchés de capitaux privés leur ont fermé leurs portes et que les institutions multilatérales sont moins agiles que prévu, ce sont les IFD (Institutions financières du développement) africaines qui sont entrées en action pour offrir un soutien opportun.

Les institutions bien capitalisées représentent une option d’assurance pour une région qui, même dans les bons jours, a généralement reçu moins d’investissements ou de soutien qu’elle n’en a manifestement besoin.

Alors que le capital devient plus cher et que les eaux géopolitiques deviennent plus agitées, le sentiment qui prévaut sur le continent est que les pays africains pourraient avoir besoin de s’appuyer davantage sur leurs propres institutions et sur les instruments novateurs que ces institutions peuvent déployer pour les soutenir.

Serge Ekué partage ce point de vue. « En fait, le capital est essentiel pour soutenir le développement, et la mobilisation des ressources financières est un défi permanent.

Depuis que je suis à la tête de la BOAD, j’ai constaté de première main la nécessité de renforcer notre capacité à mobiliser des capitaux abordables pour financer nos projets de développement.»

Il précise : « Nous travaillons donc en étroite collaboration avec nos partenaires étrangers, les marchés de capitaux régionaux et internationaux et les investisseurs afin de diversifier nos sources de financement et d’améliorer notre capacité à lever des fonds de manière efficace et dans des conditions favorables.

Il s’agit également de promouvoir la stabilité économique et politique dans la région afin de renforcer la confiance des investisseurs. »

Pour Serge Ekué, la formule idéale est celle d’une collaboration étroite et d’une complémentarité entre les IFD africaines, qui ont une connaissance approfondie du terrain, et les IMF, qui bénéficient d’une meilleure notation et d’une plus grande capacité à lever et à débourser des capitaux.

Même si les IFD africaines élargissent leur rôle, cette collaboration offre une nouvelle façon de débloquer des fonds de développement sur le continent.

« Les institutions comme la nôtre ont la capacité d’origination. Nous connaissons notre région et nous savons ce que nous devons faire. Je pense donc que les institutions mieux notées devront travailler avec nous pour, dans un sens, aider à réduire le risque de nos portefeuilles parce que nous sommes les preneurs de risques naturels dans nos régions. »

À mesure que les IFD africaines gagnent en confiance et en assurance, cette approche est de plus en plus soutenue. Elle permettrait d’utiliser les capacités immenses, utiles et surtout pertinentes construites sur le continent tout en abordant la question du financement, qui est susceptible de persister au moins à moyen terme.

Un siège à la table

L’approche collaborative est une idée qui demande de la réflexion et peut-être de l’action. C’est pourquoi Serge Ekué l’a placée au centre de sa candidature à la présidence de l’International Development Finance Club (IDFC), une association mondiale de 26 banques de développement nationales, régionales et multilatérales dont la BOAD est membre depuis une dizaine d’années.

Le groupe s’efforce de faire progresser les objectifs de développement communs, notamment les Objectifs de développement durable et l’accord de Paris sur le climat.

Il choisit son président au sein d’un groupe de pilotage. Le président actuel est Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement. Serge Ekué pense qu’en tant que président, il serait en mesure de présenter cette proposition de manière plus efficace et, peut-être, d’aider à apporter certains changements au système financier international qui est devenu une cause célèbre sur le circuit international ces derniers temps.

Selon lui, la direction d’une telle organisation par Serge Ekué arriverait au bon moment pour le continent et le système financier mondial. Il semble lucide sur les problèmes qu’il devra affronter dès le premier jour.

« Nous partageons un certain nombre de défis. La situation de l’Amérique du Sud a été comparée à celle de l’Asie. L’idée est que nous devons partager les meilleures pratiques, partager les données et unir nos forces pour promouvoir nos différentes banques régionales afin qu’elles soient à nouveau considérées comme pertinentes lorsqu’il s’agit de renforcer le développement. »

Sa plateforme comprend des propositions visant à renforcer les banques publiques de développement (BPD) dans la conception et l’exécution des projets ; à aligner les BPD sur les objectifs climatiques de 2030 ; à promouvoir une nouvelle architecture financière en phase avec le défi climatique et à allouer les droits de tirage spéciaux en fonction de ce besoin ; et à placer l’impact social et l’innovation au cœur de la planification du développement.

Pour le continent, une direction africaine d’une autre institution mondiale qui, jusqu’à présent, n’a été dirigée que par des Européens, serait un énorme coup de pouce. Ce serait l’occasion d’accorder aux questions africaines l’attention et la compréhension qui ne sont pas toujours garanties.

 À une époque de profonds changements, où des décisions déterminantes sont envisagées, le continent qui est actuellement le plus jeune et qui sera bientôt le plus peuplé, l’Afrique, devrait avoir un ou plusieurs sièges aux tables où ces décisions sont prises.

African business

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