Les dirigeants africains feraient bien de réfléchir longuement avant de se leurrer avec des vœux pieux. L’approche «America First» en matière de politique étrangère sera intensifiée par un nationalisme économique plus affirmé en faveur des affaires (non pas des marchés), de la caporalisation de l’interdépendance (tarifs de douane, sanctions, contrôles à l’exportation) et de la sécurisation nationale du IDE et du commerce.
Même si Trump ne peut pas se permettre d’ignorer le continent, notamment en raison de ses riches réserves minérales, son retour n’est pas à coup sûr une opportunité pour la relance de l’industrialisation en Afrique. La nouvelle administration privilégiera la primauté sur le partenariat avec une vision pragmatique, axée sur le maniement de la carotte et le bâton et marquée par une forte dimension de politique à somme nulle.
Le déficit commercial massif des USA, dans un contexte de fragmentation géoéconomique croissante, souligne une faiblesse structurelle sous-jacente de son économie. Pendant des décennies, la focalisation excessive des entreprises américaines sur les coûts de la main-d’œuvre les a amenées à délocaliser leurs activités outremer, pendant qu’elles ignoraient les risques liés au transport et à la logistique, à la géopolitique et à la chaîne d’approvisionnement. Ces risques se sont accrus et se multiplient dans un monde multipolaire. Cela donne à Trump une «raison d’être» puissante: la renaissance Américaine et de son indépendance économique, avec la reconstruction de son stock de capital et le «re-shore», «near-shore» et «friend-shore».
C’est une question de «sécurité nationale». Les implications – notamment en termes de géopolitique, de transition énergétique, de commerce et d'(in)justice environnementale – seront profondes et perturberont les efforts africains d’industrialisation, car dans Trumpland, il ne peut y avoir que des gagnants et des perdants dans la compétition pour la domination. Le retour sur l’investissement américain ne peut en aucun cas être laissé aux caprices du marché. Celui-ci doit bénéficier avant tout les USA, même s’il faut restreindre la concurrence du commerce mondial et entraver le développement de l’Afrique.
Les dirigeants africains doivent s’attendre à un néolibéralisme sous stéroïdes et à des contraintes sélectives sur leurs politiques industrielles. Le plus grand défi sera donc de définir des stratégies «smart» qui permettent de poursuivre un développement endogène équilibré et une transformation structurelle qui favorise une plus grande inclusion de l’Afrique dans l’ordre économique mondial. Ils devront apprendre à interpréter les salades de Trump, qui utilisera l’Afrique à ses fins même si les africains crèvent la dalle. Il faudra surtout qu’ils ne se trompent pas, car le message restera le même: ce qui est à moi est à moi et ce qui est à vous est aussi à moi si j’en ai besoin.
Astrid Ruiz Thierry
Principal at Upboost LLC; VP for Africa at Oniva Motors