L'économiste du Togo

Croissance : De la théorie aux réalités africaines

Les facteurs principaux de la croissance d’une nation, ou d’un continent, ont déjà été déjà évoqués ici. 

Ceux de l’Afrique tiennent aussi dans sa transition démographique et dans la diffusion, inégalement répartie, du progrès technique.

L’Afrique a bénéficié depuis la fin du deuxième millénaire du retournement durable des termes de l’échange ainsi que d’un effort important d’épargne des ménages.

Il s’agit là d’une croissance importante et très rapide du facteur capital dans la trilogie des facteurs de production. 

Et alors que certains Occidentaux, surtout Européens, doutent encore du décollage économique africain, il paraît nécessaire de passer en revue les deux autres facteurs, « travail » et « facteur résiduel ».

Démontrer que le travail s’est considérablement développé en Afrique depuis les indépendances est plus qu’aisé, il suffit de regarder la démographie du continent. 

Il y eut une évaluation en 1900, au tournant des xixe et xxe siècle : 120 millions d’habitants seulement du Nord au Sud.

Le résultat de siècles de maltraitance, des razzias aux colonisations suivant presque immédiatement le fameux et monstrueux « commerce triangulaire » appelé « traite » aujourd’hui. 

Deux exemples ici, mais les Africains les connaissent pratiquement tous : Léopold II, roi des Belges et propriétaire (oui, bien « propriétaire » à titre personnel) du Congo dit « belge » à l’époque, entraîna la mort de la moitié environ de la population du pays par la politique de rentabilité à tout prix qu’il imposa en faisant régner la terreur. Une dizaine de millions de morts !

C’est une société entière et pas seulement au sein des entreprises qui, en renaissant, a permis aussi aux économies africaines de devenir, aujourd’hui et sans investissements étrangers, les plus performantes du monde.

Mais le travail forcé ne fut réellement fini qu’en 1954 (au Sénégal, dernière colonie à le pratiquer).

Il faut savoir que ce travail forcé entraîna des centaines de milliers de victimes, notamment sur les chantiers de chemins de fer.

Une démographie enfin favorable

Au total 120 millions d’individus sur tout le continent, donc, au début du xxe siècle, alors que des voyageurs du Moyen-Âge avaient noté que la densité de population africaine était comparable à la densité en Europe. 

On estime ainsi qu’il y a quatre siècles, l’Afrique représentait 17 % de la population mondiale, retombant à 7 % de cette population globale en 1900.

Le facteur travail ne permettait guère de croissance soutenue dans ce contexte ! 

Des calculs ont été en effet faits sur ce point par des économistes français (Carré, Dubois et Malinvaud) : pour une croissance de 5 %, le capital en explique 1,5 % et le travail, 1 %.

Le reste, 2,5 %, est expliqué par le fameux facteur résiduel qui tient, lui aussi, énormément au facteur humain comme on le verra.

Les chiffres ont varié sur la population africaine en 1960.

Dans mes jeunes années, j’en étais resté à 160 millions, mais il paraît qu’il faut plutôt compter sur 200-230 millions.

À partir de 1977 (voir tableau 1), l’Afrique démographique s’est réveillée jusqu’à dépasser le milliard d’habitants il y a 8 ans (16 % de la population mondiale aujourd’hui). 

Les Cassandre occidentales hurlent en projetant la fécondité africaine sur des décennies, mais cette fécondité baisse très rapidement du fait de la croissance de l’urbanisation.

L’Afrique a dépassé les 50 % de citadins aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne dépassant les 40 %. 

Le taux de fécondité va donc continuer à baisser et les projections alarmistes n’ont pas vraiment raison d’être.

Les historiens sérieux ne pourront donc pas non plus ignorer le repeuplement de l’Afrique comme raison évidente de son décollage.

Cela donne des armées de jeunes qui entreprennent et, au final, très peu de salariés (moins de 20 % en moyenne !). 

Le facteur travail se double donc d’un facteur entrepreneurial, central dans la Théorie de l’évolution économique de Joseph Schumpeter.

De l’importance du progrès technique

Ce qui nous amène à ce « facteur résiduel ». La science économique étant une addition de travaux dans le temps, déjà, Marx, avait imaginé que la croissance était la résultante du Capital et du Travail. 

Mais s’il avait pu chiffrer le capital, il n’avait pas réussi à chiffrer le travail et n’avait donc pas pu chiffrer le montant de la combinaison du travail et du capital.

C’est Schumpeter, son contraire (il fut ministre de l’Économie de l’empire austro-hongrois, puis profes

seur à Harvard), qui décela l’importance d’un facteur de production inexploré en tant que tel : le progrès technique. Selon Schumpeter, la croissance économique s’explique essentiellement par l’action du progrès technique, c’est l’irrégularité de celui-ci qui justifie les irrégularités de la croissance. 

En sus, il explique les successions d’essor et de récessions par la dialectique entre l’innovation et l’imitation.

Trente ans plus tard (les travaux de Schumpeter datent de 1926), un économiste américain, Robert Solow, approfondit le concept en estimant, dans un article retentissant qui lui vaudra le prix Nobel d’économie, que « le facteur résiduel » (résiduel, car impossible à calculer par lui-même, contrairement à la productivité du travail et celle du capital) est beaucoup plus complexe et que l’éducation, par exemple, en fait partie tout comme l’amélioration de l’environnement du travail ou l’organisation des entreprises

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