L'économiste du Togo

Togo : comment Lomé s’est muée en hub bancaire

Exploitant au maximum sa position géographique stratégique tout autant que ses très favorables dispositions réglementaires, la capitale togolaise s’est transformée en hub bancaire incontournable en Afrique de l’Ouest. Retour sur les recettes de ce succès.

Érigés côte à côte au cœur de la capitale togolaise, les sièges de la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC) et de la Banque Ouest Africaine de développement (BOAD) illustrent parfaitement ce qu’est devenue Lomé au cours des dernières années : un hub financier de premier plan pour les établissements publics à vocation régional. BIDC, BOAD, CICA-RE, fonds de garantie des investissements privés (GARI)…De fait, en matière d’attractivité, la place financière de Lomé n’a pas à rougir lorsque comparée à d’autres métropoles plus grandes de la sous-région (Bamako, Conakry, Ouagadougou, Niamey…). Pour expliquer ce choix d’implantation au Togo, nombre d’analystes avancent en premier lieu des raisons historiques. «Le Togo a joué un rôle de membre fondateur de la CEDEAO, ce qui lui avait valu de se voir attribuer le siège de la BIDC car le Nigeria avait déjà le siège de la Commission », explique par exemple le professeur Aimé Tchabouré Gogué- économiste togolais et ancien ministre de l’Education Nationale et de la recherche Scientifique- qui estime « qu’il en va de même de la BOAD, compte tenu du rôle joué par les autorités togolaises d’alors pour le transfert de la souveraineté monétaire à travers la mise en place de la BCEAO au Sénégal ».

La sécurité, un atout de taille

Autre raison mise en avant pour justifier le succès de la place loméenne, la sécurité. Dans une région émaillée de troubles politiques récurrents, ce facteur est un atout de taille pour garantir un climat des affaires favorable. «Plusieurs pays de la zone ouest africaine, à l’instar du Bénin, du Mali, du Niger, du Ghana ont connu ou continuent de souffrir de période d’incertitude sécuritaire. De ce point de vue, l’un des pays pouvant garantir la sécurité de telles institutions bancaires régionales est le Togo, à cause de sa stabilité », rappelle pour sa part le spécialiste des relations géopolitique Follykoe Ventura pour qui « cet atout [sécuritaire] aurait été habilement exploité par les dirigeants togolais pour faire du pays un maillon essentiel du secteur bancaire régional ». De fait, le pays bénéficie d’une position géographique stratégique, puisqu’il se trouve au milieu du corridor Abidjan-Lagos, qui relie les deux géants économiques de la sous-région : le Nigeria à l’est et la Côte d’Ivoire à l’ouest. Mieux, le Togo est le débouché naturel- sur la côte Atlantique- des pays de l’Hinterland ouest-africain (Burkina Faso, Mali, Niger) qui y font transiter leurs marchandises. De quoi donner de facto au pays une position de hub pour les flux d’échanges commerciaux ; un terrain de chasse idéal pour les banquiers qui cherchent à faire travailler leurs capitaux sur des deals importants.

Ecobank, symbole du succès bancaire togolais

Mieux, ces éléments favorables, loin de n’attirer que les banques publiques, ont aussi favorisé l’éclosion et le développement des établissements privés. Aimé Tchabouré Gogué souligne ainsi que la politique pro-banques des autorités togolaises s’est traduite par « un afflux de placements dans les banques commerciales togolaises dès le début des années 80 ». Parmi celles-ci, Ecobank, qui est l’exemple le plus emblématique de ces établissements financiers qui ont su bénéficier à plein de cette dynamique. Fondée en 1985, la société a pu capitaliser sur cet excellent démarrage pour déployer ensuite ses services financiers à l’échelle de tout le continent. Résultat, le groupe, qui porte la marque de fabrique de l’homme d’affaires togolais Koffi Gervais Djondo, est aujourd’hui un géant panafricain présent dans 33 pays, dont les actifs totaux sous gestion dépassent 25 milliards de dollars. De même, au-delà des banques locales, plusieurs autres groupes panafricains se sont implantés au Togo- à l’instar de la holding du réseau bancaire Orabank- afin d’étendre leur zone d’influence…et profiter des nombreux avantages fiscaux qu’offre le pays. Kayi Mivédor, ministre de la Promotion des investissements, se félicite ainsi que le « nouveau code des impôts (instauré en 2018, ndlr) vise à rationaliser la structure du système fiscal en supprimant certains impôts, […] ce qui permet en définitive une amélioration du climat des affaires », qui comme partout ailleurs, n’est pas dénué de zones d’ombre. Nombre d’observateurs estiment ainsi que les autorités du pays doivent encore progresser pour lutter contre certains maux, tels que la corruption. Publié fin janvier, le dernier rapport de l’ONG Transparency International sur la perception de la corruption dans le monde, classe le Togo au 128e rang mondial (sur 180 pays), traduisant de facto une situation où les bonnes dispositions réglementaires du pays pour faciliter les affaires ne sont pas toujours suivies d’effet sur le terrain. 

Avantages fiscaux

Il n’empêche, pour les analystes interrogés, et au-delà des vicissitudes ponctuelles évoquées plus haut, les avantages fiscaux offerts par le Togo contribuent sans conteste à booster son attractivité sur le très compétitif segment bancaire régional. L’économiste Michel Nadim Khalife précise par exemple que « lorsque le siège d’une banque est implanté au Togo, celle-ci bénéficie dans les faits d’un statut de zone franche tandis que les citoyens togolais ne payent pas d’impôts lorsqu’ils acquièrent des obligations émises par ces banques ». Homme d’affaires basé à Lomé, Mawuena Dabla est quant à lui convaincu que « plusieurs entrepreneurs togolais ont pu développer leurs affaires grâce à des prêts accordés par ces structures, qui ont par ailleurs joué un rôle clé dans la digitalisation actuelle des services financiers (voir article…) ». En somme, un cercle vertueux où les efforts politiques d’hier et d’aujourd’hui pour faire venir les opérateurs bancaires publics et privés étrangers-et leurs fonds- se transforment en un levier de prospérité pour tous.   Au final, cette vision pragmatique et proactive des autorités togolaises pour attirer les flux financiers dans le pays a permis de rapprocher les banques de toutes les couches sociales, renforçant de manière significative l’inclusion financière, année après année. Estimés à près de 960 000 en 2016, les détenteurs de compte bancaire dans les banques commerciales au Togo ont vu leurs effectifs être portés à près de 1,2 millions en 2020. Une progression de près d’un quart en l’espace de seulement quatre ans, et qui conforte encore un peu plus la position du Togo comme pays le plus bancarisé de la zone UEMOA (taux de bancarisation de 25,1 % contre 19,3 % pour l’ensemble de la sous-région).  

Le pari du Rwanda pour devenir la « Suisse est-africaine »

Déterminées à développer la place financière de Kigali, les autorités rwandaises ont, tout comme leurs homologues togolaises, acté une série de mesures afin de booster l’attractivité de leur pays.  Outre la mise en place du Centre financier international de Kigali (KIFC), piloté par l’agence publique Rwanda Finance Limited, le pays a établi un cadre juridique et réglementaire destiné à faciliter les investissements internationaux et les transactions bancaires transfrontalières. Annoncée en mars 2021, l’initiative Financial Trust Corridor (FTC)- fruit d’un partenariat entre l’Autorité monétaire de Singapour et Rwanda Finance Limited – pourrait notamment aboutir à terme à un financement des PME du Rwanda par des banques singapouriennes, non présentes dans le pays, sur la base d’un échange automatique d’informations financières entre les deux pays.

Source : Forbes Afrique

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