L'économiste du Togo

Relever le défi du financement bancaire de la PME togolaise

Le vendredi, 22 novembre 2024, le Premier Ministre de la République Togolaise, Victoire Dogbé a donné le coup d’envoi de la 19ème Foire Internationale de Lomé. Pour le Ministre du Commerce, de l’Artisanat et de la Consommation Locale, Kayi Mivedor-Sambiani, « la Foire Internationale de Lomé, au fil des ans, non seulement sert de cadre de consolidation des acquis, mais aussi permet de favoriser le réseautage, les opportunités d’affaires et la redynamisation de nos économies nationales ».

Cette foire est une occasion précieuse pour les Petites et Moyennes Entreprises (PME) togolaises, qui forment la base du tissu économique du pays, de promouvoir leurs produits et services, de nouer des partenariats et de saisir des opportunités. Cependant, l’accès au financement reste un obstacle majeur à la croissance des PME au Togo. Selon Lefilleur (2008), ce problème est particulièrement marqué en Afrique subsaharienne, surpassant même les défis liés à la gouvernance, aux infrastructures déficientes ou à la fiscalité abusive.

Au Togo, une analyse des données issues du Recensement Général des Entreprises (RGE, 2018), réalisé par l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques et Démographiques (INSEED), révèle que 66,8 % des dirigeants de PME déclarent éprouver des difficultés dans le développement de leurs activités. Les principales contraintes évoquées incluent notamment l’accès au crédit pour le financement de leurs activités (37,8%).

Le défis du financement bancaire pour les PME

Les PME, du fait de leur poids économique et social, jouent un rôle de premier plan en matière de développement d’un pays. Elles contribuent de façon importante à la création des richesses, à la redistribution du revenu, à la formation intérieure du capital et à la création et au maintien d’emplois.

Dans les pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), cette forme d’organisation représentant 99% de toutes les entreprises, génère environ 60% des emplois, totalise entre 50% et 60% de la valeur ajoutée, et sont essentielles pour assurer une croissance économique durable et inclusive (OCDE, 2019). Au Togo, selon les données du RGE de 2018, les PME constituent 99,6 % des unités économiques, si l’on inclut les entreprises individuelles sans comptabilité formelle.

Bien qu’elles jouent un rôle clé dans l’économie togolaise, les PME continuent de faire face à un accès limité au financement bancaire. Si le montant exact des crédits qui leur sont accordés reste difficile à déterminer, certaines estimations offrent une indication. En 2023, les PME ont capté environ 39 % des crédits accordés par les banques et les systèmes financiers décentralisés au secteur privé, pour un montant estimé à 762 milliards de FCFA[1].

Néanmoins, leur part dans les crédits globaux du système bancaire demeure historiquement faible, atteignant en moyenne seulement 4,1 % selon les données de la BCEAO en 2012. Pour pallier ce problème, les pouvoirs publics ont mis en place plusieurs mécanismes, tels que le Fonds d’Appui aux Initiatives et Entreprises des Jeunes (FAIEJ), l’Agence Nationale de Promotion et de Garantie de Financement (ANPGF), le Fonds National de Finance Inclusive (FNFI), et le Mécanisme Incitatif de Financement Agricole (MIFA). Cependant, ces initiatives demeurent insuffisantes pour répondre à leurs besoins croissants.

Comprendre les raisons du sous-financement bancaire des PME

Certains practiciens évoquent la double asymétrie d’information entre PME et banque, en liaison avec la faible qualité des données comptables produites par les PME d’une part, et la méconaissance par les dirigeants de PME des facteurs sur lesquels le banquier se fonde pour prendre sa décision d’octroi de crédit, d’autre part. Ce contexte crée une certaine réticence de la part des banques à financer ces PME.

Il ressort de ces constats que le manque d’échanges, l’incomplétude d’informations entre la PME et la banque constitue la principale cause des problèmes, voire de blocage lors des demandes d’un financement bancaire. En effet, les PME évoluant dans un contexte marqué par un degré élevé d’informalité, leurs activités sont souvent mal documentées et difficilement évaluables.

Dans cette optique, réduire l’asymétrie d’information entre les PME et les banques en proposant des stratégies efficaces de gestion des risques pour le système bancaire constitue un sujet d’intérêt majeur. À cet égard, en nous appuyant sur le cas des banques et des PME du Togo, nos recherches sur la « Contribution à la connaissance du financement bancaire de la PME au Togo[2] », menées sous la direction de Gérard HIRIGOYEN, Professeur émérite à l’Université de Bordeaux, étudient, la décision d’octroi de crédit bancaire aux PME, dans un contexte où les acteurs bancaires ne disposent pas d’informations comptables de qualité.

Alors que nous révèlent les banquiers et les PME du Togo ?

Ces études révèlent que la contrainte principale évoquée par les banquiers togolais pour justifier le manque d’accès au financement des PME concerne la qualité des informations produites et subsidiairement le contexte et les contraintes de la réglementation bancaire. Elles montrent que l’accès des PME aux prêts bancaires est positivement affecté soit par la fiabilité des données financières fournies par la PME soit par les renseignements bancaires et commerciaux favorables. Aussi, les PME qui ont un profil adéquat en termes de qualité de l’équipe dirigeante (niveau d’étude, d’expérience, etc.), de gouvernance, d’apport personnel (capital social ou compte d’exploitant), d’ancienneté dans le domaine d’activité accèdent plus facilement au crédit bancaire.

On considère que les PME dont les dirigeants jouissent d’une bonne réputation ont un meilleur accès au financement bancaire parce qu’ils ont une plus grande crédibilité. En outre, les résultats démontrent que les PME qui entretiennent déjà une relation bancaire avec un bon historique dans le respect de leurs engagements ont un accès plus facile aux prêts bancaires. A contrario, obtenir un prêt bancaire est difficile pour les PME qui ont des « ardoises », c’est-à-dire, des prêts en difficultés[3] sur le système bancaire. Par ailleurs, la décision du banquier concernant le financement d’une PME est fortement influencée par la nature du secteur d’activité, notamment son potentiel de croissance et les opportunités qu’il offre, ainsi que par le niveau de risque de défaut associé à ce secteur.

On retient également, que les banquiers cherchent dans la mesure du possible à créer une relation de proximité, de confiance dans la durée avec la PME ; à leur avis, ces facteurs améliorent la collecte d’une information de qualité sur la PME et donc, impactent positivement la décision d’octroi du crédit par la banque. Aussi, il existe des facteurs internes à la banque elle-même, qui peuvent affecter la décision d’octroi de crédit et par conséquent, l’accès des PME au financement bancaire. C’est le fait des objectifs fixés aux banquiers, fonctions commerciales versus risques de crédit, et leurs relations interpersonnelles.

Un accompagnement dédié et la production d’une information comptable et financière de qualité comme une solution à l’amélioration de l’accès au financement bancaire des PME au Togo

Les banques commerciales doivent reconnaître les PME comme une opportunité de marché distincte et chercher à comprendre leurs besoins particuliers. Elles doivent mettre en place de véritables cellules dédiées aux PME, en développant des compétences internes afin de mieux cerner les spécificités de ce segment en sortant des sentiers battus. Aussi, elles devraient communiquer plus à l’endroit des PME sur leurs règles de fonctionnement notamment sur les lignes directrices de la règlementation bancaire et offrir à cette clientèle, des formations pratiques sur la façon de financer une entreprise, de concevoir un plan de trésorerie, un plan prévisionnel et d’affaire, etc.

A travers ces formations, les banques pourront également mieux cerner les PME notamment leurs préoccupations et attentes. Par ailleurs, il serait opportun de développer une synergie avec les Institutions de Microfinance (IMF), en créant une complémentarité dans le financement des PME à travers des accords de coopération. A travers de tels accords, les IMF s’engagent à faire migrer progressivement leurs clientèles d’origine vers leurs banques partenaires dès lors que cette clientèle atteint une taille donnée. Une telle coopération, réduit l’asymétrie d’information par le transfert de l’historique de la relation que l’IMF a pu constituer tout au long de la relation avec la Très Petite Entreprise (TPE) qui progressivement devient PME.

De l’impérieuse nécessité pour le dirigeant de PME de mettre un costume pour inciter sa banque à lui octroyer un financement

Les PME doivent prendre conscience et comprendre qu’aujourd’hui les banques souffrent de ce qui s’est produit par le passé. Les banques ne font plus confiance parce que quand on dit PME aujourd’hui, le banquier y voit tous les incidents passés, comme les taux de « casse », les mauvaises utilisations de fonds ou de détournement de l’objet du crédit, et voire les difficultés de recouvrement du fait de nombreux dilatoires des dirigeants de PME dans les dossiers en contentieux.

Par ailleurs, les PME doivent également non seulement mieux se structurer sur le plan organisationnel mais aussi améliorer leurs gestions, leurs compétences en management et établir des documents financiers fiables. La culture financière du manager de la PME et son implication dans ses affaires s’avèrent donc indispensables. Elles doivent s’inscrire dans la transparence en établissant des documents qui reflètent leurs situations réelles et les règles de comptabilités fixées par les dispositifs en la matière. Les dirigeants des PME doivent être conscient de l’importance pour les banquiers de disposer d’une information transparente, fiable et complète pour la prise de décision de financement. Les dirigeants et promoteurs de PME sont vivement appelés à prêter attention à la préparation des documents financiers et des plans d’affaires qu’ils soumettent à leurs banques.

Comment les pouvoirs publics peuvent-ils faciliter la production d’une information comptable et financière de qualité de la part des PME 

Les pouvoirs publics peuvent mettre en œuvre les mécanismes d’incitations et de contraintes nécessaires pour que les PME remplissent les exigences de l’offre. Au-delà des reformes de politiques structurelles notamment fiscales, judiciaires, une reprise en main de la profession comptable, ils peuvent œuvrer : (i) à la mise en place d’un véritable programme d’éducation financière et de renforcement des compétences des PME, (ii) à la Labellisation des PME, (iii) à la mise sur pied d’un indice de l’indicateur dirigeant PME à l’instar de l’indicateur dirigeant de la Banque de France (iv) à la promotion de création de société d’assurance-crédit et de fonds dédié à la PME.

Le financement bancaire des PME au Togo constitue un défi majeur, mais aussi une opportunité. Améliorer l’accès des PME togolaises au financement bancaire nécessite une action concertée des trois parties prenantes : les banques, les PME et les pouvoirs publics. En s’appuyant sur des mécanismes innovants et en renforçant la transparence des PME, les pouvoirs publics pourront libérer le potentiel de ce secteur clé pour une croissance économique durable et inclusive.

Jean Koudjokoum TCHANGAI, PhD, DBA

Spécialiste en évaluation et gestion du risque de crédit, il est actuellement, Directeur des Engagements et du Recouvrement Groupe, au sein d’une holding financière couvrant une dizaine de pays en Afrique subsaharienne. Il est chargé de la mise en œuvre de la politique du Groupe en matière d’octroi de crédit, de gestion du risque crédit, de recouvrement, de qualité du portefeuille et de la maitrise du coût du risque dans les filiales bancaires ouest-africaines

Chercheur, il est membre du Centre de Recherche sur les Entreprises Familiales et Entrepreneuriales (CREFE) et de l’équipe Dynamiques Rurales -UMR 5193 LISST (Toulouse, France), il s’intéresse aux problématiques du financement bancaire notamment des PME et des Entreprises familiales, à l’entrepreneuriat agricole et à la gestion des risques bancaires.


[1]Source : Agence Ecofin

[2]Thèse de PhD : Contribution à la connaissance du financement bancaire de la PME au Togo : élaboration d’un modèle théorique et conceptuel global d’octroi de crédit bancaire aux PME

Thèse de DBA : Contribution à la connaissance du financement bancaire de la PME au Togo : le point de vue bancaire

[3]Créances impayés, Créances restructurées, créances Douteuses ou Litigieuses, …

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