Envoyé spécial du Pacte de Paris pour les peuples et la planète, l’ancien président du Sénégal estime que les institutions financières mondiales doivent mieux répondre aux besoins des pays en développement.
Lorsque je réfléchis à mes douze années passées à la tête du Sénégal (2012-2024), une leçon prévaut : le système financier international est défavorable aux pays en développement comme le mien.
Quelle que soit la solidité de nos politiques économiques, nous sommes considérés comme un pari risqué. Notre accès aux capitaux est à la fois restreint et excessivement cher.
Nos politiques fiscales et monétaires sont dictées, en fait, par des Banques centrales lointaines. Et lorsque nous essayons de protester, nous découvrons que nous n’avons pas de voix.
Les pays africains paient leurs emprunts quatre fois plus que les États-Unis et huit fois plus que les économies européennes les plus riches. Notre accès au financement du développement et du climat dépend de la fin de cette discrimination financière.
Il a fallu une pandémie et l’implosion économique qui s’est ensuivie pour que ces failles apparaissent au grand jour. Cela a conduit les Nations unies et le FMI (Fonds monétaire international) à appeler à un « nouveau Bretton Woods » : une réforme en profondeur des institutions financières internationales.
Quatre ans plus tard, alors que le coronavirus est sous contrôle et qu’une reprise économique mondiale fragile est en cours, le zèle réformateur risque de s’estomper à mesure que le sentiment d’urgence s’estompe.
Pourtant, pour la plupart d’entre nous dans le monde en développement, ces efforts ont été insuffisants. Les multiples crises auxquelles nous sommes confrontés n’ont pas disparu. Rien qu’au cours des trois dernières années, dix pays en développement ont connu 18 défaillances souveraines, soit plus que toutes les défaillances de dettes des deux décennies précédentes réunies.
Les inégalités mondiales continuent de se creuser
Selon la Banque mondiale, 60 % des pays à faible revenu présentent un risque élevé de surendettement ou y sont déjà confrontés. Les paiements d’intérêts de ces pays ont quadruplé au cours des dix dernières années, alors que les taux d’intérêt mondiaux ont grimpé en flèche.
Pour honorer le remboursement de leur dette, les pays à faible revenu réduisent leurs dépenses en matière d’éducation, de santé et d’autres services publics. Ce faisant, ils sacrifient également leur droit à un avenir meilleur.
Lors des réunions de printemps de la Banque mondiale et du FMI cette année, le FMI a averti que les inégalités mondiales se creusaient et que « les pays les plus pauvres prenaient encore plus de retard ».
Il est plus urgent que jamais de rendre le système financier international plus équitable, plus sensible aux besoins réels des pays en développement et plus représentatif de la communauté mondiale.
L’année dernière à Paris, lors d’un sommet mondial convoqué par le président français Emmanuel Macron, 32 pays, dont le Sénégal, se sont mis d’accord sur le Pacte de Paris pour les peuples et la planète (« P4 »).
Nos objectifs sont clairs : créer un monde où la pauvreté a été éradiquée et la planète préservée, et où les pays vulnérables sont mieux armés pour faire face aux crises. Pour ce faire, nous visons à mobiliser toutes les sources de financement, et c’est pourquoi la réforme du système financier international est une priorité.
Macky Sall a accepté, en octobre 2023, de prendre le poste d’envoyé spécial et président du comité de suivi du Pacte de Paris pour la planète et les peuples (4P), à la demande du président français Emmanuel Macron.
Macky Sall a accepté, en octobre 2023, de prendre le poste d’envoyé spécial et président du comité de suivi du Pacte de Paris pour la planète et les peuples (4P), à la demande du président français Emmanuel Macron.
Nous savons que de nombreuses institutions partagent nos objectifs et nous ne souhaitons pas reproduire leurs efforts. Au lieu de cela, nous préconisons une nouvelle approche, que j’appelle le « multilatéralisme inclusif ».
Nous cherchons à rassembler le plus grand nombre possible de pays, de tous les continents et de tous les niveaux de revenus, en surmontant les divisions – Est contre Ouest, Nord contre Sud, verts contre pollueurs – qui ont gâché les initiatives dans le passé.
Réécrire les règles de la finance mondiale
En tant que plateforme, nous pouvons d’ores et déjà faire état de certains progrès. Par exemple, notre campagne en faveur d’une plus grande participation des pays en développement à la gouvernance des institutions financières internationales est prise en compte.
En octobre 2023, les membres du FMI ont approuvé l’élargissement de son conseil d’administration à un troisième représentant de l’Afrique sur 25, ce qui contribuera à renforcer la voix du continent dans les affaires économiques et financières.
Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir
Nous encourageons également les gouvernements à exiger des critères objectifs, transparents et mesurables pour l’évaluation du risque souverain par les agences de notation.
Les recherches menées par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) montrent que ces agences attribuent systématiquement des notes de risque plus élevées aux pays pauvres, sans tenir compte des réalités économiques sur le terrain.
Cela a conduit à une situation où, en moyenne, les pays africains paient leurs emprunts quatre fois plus que les États-Unis et huit fois plus que les économies européennes les plus riches. Notre accès au financement du développement et du climat dépend de la fin de cette discrimination financière.
Un autre objectif est d’attirer au moins un euro de financement privé pour chaque euro de financement public consacré au développement, au climat et à la nature.
Nous invitons d’autres pays à rejoindre le Pacte de Paris afin de réécrire les règles de la finance mondiale, de donner aux pays en développement un plus grand poids dans les institutions financières internationales et de mobiliser des fonds pour une croissance durable.
Nous espérons ainsi créer un nouvel ordre financier mondial et inclusif, adapté au XXIe siècle.
Macky Sall
Envoyé spécial du Pacte de Paris pour les peuples et la planète, l’ancien président du Sénégal